Couleurs humaines
Démons éthiopiens
En parallèle de la littérature exégétique des pères de l’Église figure un autre genre, celui des vies des saints, propice à la collusion entre le mal et l’Éthiopien. Dès la fin du Ier siècle dans l’épître de Barnabé, Satan – dont l’association avec les mondes souterrains et l’enfer est ancienne – est appelé « le Noir ». A l’exception de la tradition copte, ce dernier est rarement qualifié d’éthiopien directement ou décrit comme tel. En revanche, une foule de ses auxiliaires, dans les récits de martyres ou de vie de saints, ou encore dans les Actes de Pierre et d’André au IIe siècle, apparaît sous le trait d’Éthiopiens, le plus souvent de femmes ou de jeunes enfants, venus tenter les saints ou contrecarrer leurs efforts d’évangélisation. La culture gréco-romaine classique fourmillait de références associant le noir, et les Éthiopiens en particulier, à des signes de mauvais présages, mais dans les écrits chrétiens le diable ou ses servants s’incarnent en lui. Ainsi, outre les appels à l’hérésie qu’ils profèrent, les qualités de ces suppôts du diable sont emblématiques du dénigrement des populations africaines ; figurent notamment la luxure, la vanité, le désordre, la laideur ou encore la puanteur.
Entre association au péché et personnification du démon, la place des Éthiopiens dans l’Église devait donc être difficile à assumer. Impossible cependant d’en savoir davantage tant les sources manquent. Si les chrétientés africaines – nubiennes ou éthiopiennes – ont construit des récits positifs de saints noirs, ou sont entrées dans la polémique de l’association de l’Éthiopie au mal, les traces ne nous en sont pas parvenues. La situation périphérique de ces chrétientés au sein de l’Empire romain d’Orient puis byzantin et par la suite son isolement des autres chrétientés par la conquête musulmane conduisent à une perte de contact.
La plupart des clercs de l’occident médiéval Bède, Hincmar, Flodoard reprennent les associations des pères entre Éthiopie et péché et entre Éthiopiens et créatures diaboliques. A contrario, si le discours dépréciatif sur les Éthiopiens est bien attesté à Byzance il semble beaucoup moins prégnant ; les Éthiopiens apparaissant plus fréquemment comme une des nations du monde et non spécifiquement comme la nation du péché ; leur couleur étant d’ailleurs présente avant l’installation en Éthiopie, souvent considérée comme terre du mal en Occident. Le Moyen Âge a également laissé de nombreux témoignages iconographiques permettant d’illustrer ces thématiques de la couleur. Les représentations iconographiques du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central ajoutent aux sources scripturaires une riche iconographie représentant Satan ou des démons noirs grimaçant systématiquement à la peau noire ou très sombre, des Éthiopiens menaçants en particulier des figures de bourreaux, des tourmenteurs de Jésus lors de la passion, même si sur ce thème, la couleur ne rejoint pas systématiquement les traits souvent associés à l’Éthiopien. La foule noire hostile à Jésus ce sont les Juifs accusés de déicide. Le choix de la couleur noire est cependant parlant et signale à la fois la permanence et l’ambivalence de la couleur noire comme association au mal.