Accueil > Généalogies racialo-religieuses > Histoire critique des dogmes et des cultes
Histoire critique des dogmes et des cultes
Géolocalisation
Transcription
CHAPITRE XI.
Que Melchisedec doit être l'un des trois Patriarches enfants de Noé & qu’entre les trois il est plus, vraysemblable que c'étoit Cham.
La première chose que nous avons à établir , Se que je pose comme un point dont je nesaurois douter, c'est que Melchisedec étoit l'un des trois Patriarches, fils de Noé. Car nous avons vu que le Sacerdoce appartenoit aux aînez et que quoi que tous fussent Sacrificateurs, cependant les aînéz l'étoient d'une maniéré plus éùinente et les aînez des aînez, qui s'appelloient Patriarches, l'avoient encore d'une manière plus élevée. Or ces mots Sacrificateur du Dieu Souverain , ou grand Sacrificateur, souverain Sacrificateur, ne pouvoient tomber que sur ceux qui possedoient la dignité du Sacerdoce de la manière la plus éminente. Et nous ne liions nulle part que ce titre ait été donné à aucun des simples aînez. Nous. n'avons non plus aucun lieu de croire, qu'il y eût alors des Sacrificateurs en titre d'office. Car puis qu'il n'y en avoit pas dans les familles que Dieu avoit choisies, pourquoi y en auroit-il eu entre les Canannéens ? Je ne saurois donc douter que Melchisedec ne fût Sacrificateur du Dieu souverain par le privilege de sa naissance.. Or il n'y avoit aucun privilege de naissance qui lui pût donner ce nom & cet honneur, que celui d'aîné des aînez, c'est-à-dire de Patriarche : or pour comprendre comment un des trois Patriarches s'est trouvé dans la terre de Canaan du tems. d'Abraham, 6c lequel des Patriarches se peut être, il est bon de dire quelque chose des divisions de la terre entre les enfants de Noé.
Il faut donc savoir qu'après la division des langues, se fit la division des peuples & des terres. St. Epiphane dans l'heresie qui est celle des Manichéens, dit, que ce fut Noé qui fit ce partage, & que pour le faire, il jetta le sort auprès d'une ville qui est sur la frontiere d'Egypte, et qu'on appelle Rinokoroura." et prés d'un torrent de même nom, qui divise l'Egypte de l'Arabie. Dans cette. distribution, Cham eut pour son partage l'Egypte et la Libye jusqu'au détroit de gades, qui s'appelle aujourd'huy de Gibraltar. La Syrie & la partie Orientale de l'Europe échurent à
Sem. Les parties Occidentales de la.même Europe, c'est-a-dire l'Italie, l'Espagne, les Gaules, la Germanie, furent le partage de Japhet. Après, cela Noé se chargea lui-même de la commission d'aller mettre ses décendans en possession des Pays qui leur étoient échus,. 6c il alla décharger sur diverses côtes ceux qui les devoient habiter. On ajoûte que Noé dans ce
partage fit faire serment à ses enfans, que l'un n'envahiroit pas le partage de l'autre. Mais Cham contre la bonne foy, & contre là promené, s'empara de la terre de Canaan, qui devoit appartenir à la pollerité de Sem. C'est pourquoi Dieu dans la suite l'arracha aux enfans de Cham, & la rendit à ceux de Sem. Cette Histoire passoit pour si certaine dans ces siècles que Philaftrius Evêque de Bresse met au nombre des Heretiques ceux qui la revoquoient en doute. Eusebe nous la débite aussi comme une vérité dans sa Chronique. Il est vrai que ces authoritez ne sont pas suffisantes pour nous persuader que ce partage ait été fait ainsi. Mais il est pourtant fort vraysemblable que cette division se fit dés le tems de Noé. Quand Dieu eut confondu les Langues, chaque famille se separa et prit possession du Pays oùune Providence secrète les conduisit, ou bien chacun s'accommoda de ce qui se trouva le plus à sa bienseance. Quoi qu'il en soit., il. me semble qu'on doit; supposer que le Monde fut partagé entre ces trois grandes familles de Sem, Cham 6c Japhet, & que chacune de ces familles reconnut son Patriarche pour son souverain Sacrificateur, et pour son Prinée. Ainsi je conçois qu'il y avoit alors, trois grands Sacrificateurs dans le Monde j 6c il me semble que cela ne peut pas être
nié. Aprés cela qui ne voit que nôtre Melchisedec doit être necessairement un de ces trois-là? N'est-il pas vrai que l'un d'eux étoit bien plus propre à représenter le Sacrificateur éternel, qui est J. C. qu'un simple Cananéen ? Ils étoient Sacrificateurs nez par le droit de leur naissance, et par le droit de leur aînesse et par conséquent ils étoient - bien plus propres qu'un Cananéen , qui n'étoit qu'un Sacrificateur particulier & par commission, à figurer le S. J. C. qui est Sacrificateur par le privilege de sa naissance, & par sa charge de Médiateur, avec laquelle il
est né enfin n'est point du tout apparent, que Dieu ait voulu élever un Cananéen au. dessus d'Abraham qui est le pere des croyans. Au contraire il est trés apparent, qu'Abraham, a rendu ses hommages à celui qui lui étoit superieur, & par son grand âge, & par le privilege d'avoir vû le déluge, & par l'honneur de souverain Sacrificateur, dont il étoit revêtu en qualité. d'un des Patriarches du Monde.
Je m'étonne donc que nos Chrétiens rejettent avec un si grand dédain l'opinion des Juifs, qui disent que ce Melchisedec étoit le Patriarche Sem. On ne sauroit condamner cette pensée par la raison d'Epiphane , qui la veut détruire par la Chronologie, disant qu'alors Sem étoit mort. Cela n'est pas: Sem étoit vivant, & il étoit même assez éloigné de la mort, quand Melchisedec vint au devant d'Abraham. Sem a vecu foz. ans aprés le déluge^ Abraham est venu au monde 282. ans aprés le déluge. Cette victoire qu'il remporta sur les Rois , au retour de laquelle il fut rencontré par Melchisedec , tombe environ sur l'an 80. d'Abraham , 7. ans avant la naissance d'Ismaël c'est-à-dire que cet événement doit être rapporté environ à l'an 370. aprés le déluge. Ainsi Sem vécut encore 150 ans aprés cette entrevûë de Melchisedec & d'Abraham. C'est donc là l'une des bevuës d'Epiphane , mais on peut dire que c'est là la moindre de ses fautes dans l'Histoire 8c dans la Chronologie. Après tout on le doit excuser ici, parce qu'il a été trompé par le calcul des Grecs, fondé sur la version des Septante. On ne peut pas non plus réfuter les Juifs par la diversité des noms : car il n'est rien de plus ordinaire que de rencontrer dans l'Ecriture Sainte des hommes qui ont deux noms. Jacob avoir tiré le nom d'Israël du combat qu'il avoit eu avec Dieu. Efaii s'appelloit aussi Edom, à cause de l'avanture du potage de lentilles , pour lequel il vendit son droit d'aînesse. Ainsi l'un des enfans de Noé reçût le nom de Melchisedec par quelque rencontre que l'Histoire ne marque pas, qui fut dispensée par la Providence, à cause qu'il étoit destiné à figurer le Messie, le vray- Melchisedec, c'est-à-dire le vray Roy de justice. Ordinairement pour refuter cette opinion des Juifs, oii e ert e ce que
St.Paul dit, qu'il étoit sans pere & sans mere, ce qui ne se peut pas dire de Sem dont nous avons la genealogie. C'est une méchante raison: il est vray que nous avons la genealogie de Sem sous le nom de Sem, mais nous ne l'avons pas sous celui de Melchisedec. Quelque homme qué fût Melchisedec, il étoit veritablement homme: Assisi il avoit un pere, une me-
re, un commencement de jours, une fin de vie. Mais le mystere consiste dans ce que toutes ces choses ne paroinent pas dans l'Ecriture , & selon la maxime des Jurisconsultes, non çntium &non apparcntium idem essojudicium , les choses qui ne sont pas 8c celles qui n'apparoiflent pas doivent être mises dans le même rang. Dieu vouloit que le Messie eût des types dans les tems precedens qui le representassent à tous- égards. Quelques-uns de ces types ont representé sa mort, d'autres sa sépulture, d'autres sa resurreètion. Les uns ont été types de sa personne, & les autres de ses charges. L'éternité & du Regne & de la Sacrificature de ce Même étoit la chose du monde la plus difficile à representer par des types. Car comment pourroit-on représenter l'infini 6c l'éternel par des choses si petites et si bornées, comme sont toutes les choses du monde ? Les tenebres ne sont pas plus opposées à la lumiere, que les choses temporelles le sont aux éternelles. Ainsi par la raison qu'un contraire ne peut representer l'autre, il est clair qu'il étoit difficile de representer ^éternité du Messie par des choses qui sont de si peu de durée. Particulierement les mysteres inexplicables de là naissance de ce Fils, qui est sans mere à l'égard de sa divinité, 6c sans pere à l'égard de sa nature humaine, pouvoient être difficilement representez par des ombres 6c par des types tirez des choses humaines. On cite pour exemple de cela le celebre oracle du yme. d'Esaïe une Vierge enfantera un fils &c. On croit que par cette Vierge on peut entendre immédiatement et littéralement la femme du Prophete , et mystiquement la sainte 6c bienheureuse Vierge mere de Jesus - Christ. Car il faut remarquer qu'il y a deux sortes de Prophéties : les unes qui vont immediatement à jesus-Christ, ce d'autres qui roulent sur un type lequel a son rapport à Jesus-Christ. Il y a une infinité de Propheties de ce dernier ordre, ce beaucoup plus que du premier. Par exemple combien de choses sont dites de Jesus-Christ dans le Pseaume 2. 41. 4f. 65. et autres Pseaumes Prophétiques, lesquelles ont leur rapport immédiat à David ôc à Salomon, qui ont été les types de Jesus Christ. Plusieurs croyent que ces oracles d'Elaïe P enfant nous est né &c. Vne Vierge enfantera un fils &c. sont de cet ordre, 6c se rapportent à l'enfant 6c à la femme du Prophète, dont il est parlé dans la suite au commencement du chap. 8. puis je m'approchai de la Prophétesse &c. Devant que l'enfant sache crier mon pere & ma mere, on enlevera la puissance de Damas &c. Mais si cela est, dit-on, comment cette femme est-elle appellée vierge , 6c n'étant pas vierge , comment peut-elle être type de la mere de Jesus-Christ P On répond, le type n'est point dans la. choie, mais dans la maniere dont elle est recitée -, la personne dont le Prophete parle étoit encore vierge. Le St. Esprit pas le sous silence son mariage et la fait enfanter. Non que le mariage n'ait precedé l'enfantement, mais c'est que le silence 6c l'omission du mariage et de. l'approche de l'homme, est mysterieux 6c typique. J'ay une autre pensée que je préfere , c'est que tout ceci , cette femme Prophetesse qui enfante &c. n'étoit qu'une vision prophétique, ce qu'une maniere d'Apologue; car il n'y a pas d'apparence qu' Esaïe dans la verité se soit approché de sa femme, et qu'elle ait conçû. C'est une affaire semblable à celle d'Hosée, qui reçoit ordre de prendre à femme une femme publique, de laquelle il dit avoir eu des entans, qu'il appella 10 hammi 6c /0 mhama ; c'est-à-dire ce n'est plus mon peuple , ce n'est plus la bien-aimée. Cela ne s'est point passe en effet, c'est une parabole. Il en est ainsi de la femme d'Esaïe 6c de sa conception. Cette femme est appellée la Prophetesse. Nous n'avons point d'exemple qu'on appellât ainsi les femmes des Prophetes, ni nous ne savons point que la femme d'Esaïe fût effectivement Prophetesse. Ainsi je tiens que par cette Pî-ophetege, il faut entendre une femme mystique ce parabolique. Tout ceci tend à nous faire voir, que les types ne sont pas toujours dans les choses, mais dans les manieres de les rapporter 6c dans les paroles. Après tout il est certain que Dieu ne nous pouvoit mieux figurer l'éternité de [011' Fils, qu'en faisant paroitre dans l'Histoire un homme revécu d'un grand caractere, dont le pere, la mere,- la naissànce & la mort sont passèz sous Silence, et qui ne paroît qu'un moment sur ce grand Theatre. Car il est certain, que le moment represente mieux l'éternité que le tems, parce que le moment a cela de commun avec l'éternité, qu'il est indivisible. Il ne faut point opposer à cela que la vie Se la durée de Melchisedec n'a pas été d'un moment ; il suffit que cette durée n'a été qu'un moment dans l'Histoire, c'est-à-dire, que Moyse n'en a dit qu'un mot.
Et il faut remarquer que dans les évenemens typiques le mystère n'est pas seulement dans l'évenement y il est quelquefois dans la maniere de le reciter dont le St. Esprit se sert. Pareillement dans cet endroit le type consiste moins dans la chose même, que dans la maniere dont Moyse recite cette action de Melchisedec,. sans parler de sa genealogie, de sa mort, ni de sa naissance. Là-dessus on dira, que si le type consiste dans la maniere dont Moyse recite cette action, elle n'a commencé à, être typique et mysterieuse que plusieurs siécles aprés qu'elle est arrivée , parce que Moyse ne l'a recitée que fort long-tems aprés. Il faut ajoûter une remarque pour lever cette difficulté 3 c'est que les types 6c les évenemens typiques étoient beaucoup moins dessinez pour les siécles dans lesquels ils sont arrivez , que pour nous. Je suis assuré que les fidéles ne voyoient point alors les mysteres de cet événement, 6c cela n'étoit destine qu'à, nous faire voir dans les derniers tems, que Jesus-Christ est le vray Messie, par l'admirable rapport qui se trouve entre cet original 6c les copies qui l'ont autrefois representé. Quoy qu'il en soit, pour retourner au lieu où' je voulois aller, je dis qu'il n'écoit pas necessaire, que celui qui. étoit destiné à faire cette merveilleuse apparition dans l'Histoire Sainte , pour nous representer l'éternité du Messie & l'éternité de sa generation, fût un homme tout nouveau et inconnu. Pour sa personne , il suffisoit qu'il parût sous un. nouveau nom, que son pere, sa mere, sa naissance & sa mort y souvent passez sous silence y car ainsi il. demeure toûjours vray qu'à nôtre égard il n'a ni pere, ni mere, ni genealogie, ni commencement de jours, ni fin de vie.
Ce n'est donc pas par ces sortes de raisons qu'on peut refuter l'opinion, des Juifs que Melchisedec étoit Sem. Il y a même des raisons fort probables pour appuyer ce sentiment. Il semble qu'il étoit convenable à la sagessè de Dieu de placer ce Patriarche dans la terre Sainte , laquelle il devoit un jour donner à la nation sainte qui devoit sortir de lui. Il semble aussi qu'un Patriarche aussi grand qu'Abraham n'étoit pas obligé de recevoir la benediétion d'autre que de celui qui étoit naturellement son superieur, le premier, le plus ancien 6c le plus illustre de ses Ancêtres. Ainsi je me determinerois sans balancer pour l'opinion des Juifs , si la
conjecture que je veux avancer ne paroissoit pas soûtenable. Cependant je ne saurois pour le present tomber dans ce sentiment, parce que St. Paul- nous dit en parlant de Melchisedec , que celui qui n'étoit pas de même race avec eux avoit dimé Ahraham. Car ces paroles signifient
que Melchisedec étoit d'une famille étrangère, ce qui ne se peut pas dire, Sem, qui étoit le chef de la famille d'Abraham. Outre cela je ne comprens pas bien qui auroit traniporté Sem dans la terre de Canaan , & qui l'aurait oblige de venir s'habituer au milieu des enfans de son srere Cham, en abandonnant les Íiens. Il est donc apparent que Sem 6c sa famille de... meurerent dans la Chaldée, c'est-à-dire dans le même lieu d'où se fit la dispersion des peuples aprés la division des langues. Cette dispersion étant une espece d'exil 6c de peine, il y a apparence que la semence de Sem, qui étoit la semence sainte, dût être privilégiée, 6c demeurer-dans le lieu où elle se rencontroit, 6c que les autres durent être envoyez dans les diverses parties de la terre pour la peupler. Ce n'est pas une simple conjeâure, car Moyse nous apprend que la famille de Nachor , de Tharé , de Bethuël, de Laban, décendans de Sem , habitoit dans la Chaldée , & qu'Abraham fut tiré d'Ur des Chaldéens par une vocation particulière. Ainsi je trouve vray-semblable que Sem demeura dans l'Orient, & qu'il fut le souverain Sacrificateur des peuples d'écendus de lui. Je ne trouve pas non plus apparent que nôtre Melchisedec fût Japhet , à peu prés à cause des mêmes raisons qui m'empêchent de croire que ce sÎst Sem : c'est que je ne voy pas de raison pourquoy Japhet auroit quitté ses enfans pour venir habiter au milieu de la posterité de Cham. Les enfans de Japhet eurent leur partage en partie dans l'Europe, en partie dans les lieux les plus reculez de l'Afie, Javan, Elisha, Kittim, Dodanim, Tharsis &c. Ils passèrent dans FEul'ope ; mais aucun d'eux ne s'habitua sur les côtes de la Syrie, où étoit le païs des Cananéens. Je suppose donc que Japhet dût demeurer au milieu de ses enfans, pour être leur souverain Sacrificateur, comme Sem étoit demeuré au milieu des siens.
Après ces remarques il ne nous relie plus qu'à dire que ce Melchisedec, qui habitoit dans la terre de Canaan, étoit le ,me. des enfans de Noé, et le Patriarche des Cananéens. Car nous avons établi que ce Melchisedec devoit être l'un des trois enfans de Noé: nous avons vû qu'il n'est pas apparent que ce fût Sem Sc Japhet j ainsi il reste que ce foit Cham. Je fais bien que c'est une pensée -contre laquelle tout le monde se révoltera, et qui passera pour la plus grande témérité dont un écrivain puisse être capable, parce que le nom de Cham en: de mauvaise odeur dans l'Eglise, & que personne ne le jugera digne de porter ce grand caractère du plus
excellent des types qui ont figuré le Seigneur Jesus-Christ. Je n'ay nullement detiein -d'étonner le public par des paradoxes. C'est pourquoy dés l'entrée je déclare que je n'avance ceci que comme une conjecture que je seray toûjours prêt d'abandonner au premier 6c au moindre scandale qu'on en prendra. Mais on me permettra de croire, qu'on ne sauroit rien dire de plus vray-Semblable, et qu'à le bien prendre il n'y a pas le moindre scandale : pour le prouver il faut faire l'Apologie de Cham.
Les juifs et les Chrétiens s'efforcent à l'envi de rendre son nom odieux. par des accusations atroces dont ils essayent d'accabler sa mémoire. Un Juif appellé Rabbi Levi ben Gersom dit qu'il coupa à son pere les parties naturelles. Un autre Rabbi, appellé Samuel le Sacrificateur, ajoute qu'il fit une action à son pere encore plus terrible que celle-là, & qu'il lui fit une espece d'indignité qu'on ne sauroit nommer. Entre les Chrétiens, sur tout entre les anciens , il y en a plusieurs qui le confondent avec Zoro ? le Patriarche des magiciens, 6c qui le font Autheur des Arts magiques.
C'est ce que fait le faux Clement au 4e. livre de ses Récognitions : & voici comment parle Cassien. Quantum antiqua traditions feruntt Cham filins Noe, qui superjlitionibus issis & sacrilegis artibus fait ac profanis infeftus , ÎCI'ens nullum se posse super his memorialem librum inl'rcam prorsus inferre , in quam erat cum Patre jusio ac san ci is fratribus ingressus, see/csta ac profana corn menta diversorum metallorum lamini's que salicet aquarum inundatione corrumpi non possent, & duriffimis lapidibus insculpfit, qn&, diluvio peratto, eâdem quâ cœlaverat curiofitatey perquirens , sacrilegiorum & perspicua nequitidt, semi'na-
rium tranfmisit in pofteros. C'est- à-dire que Cham inventeur des Arts magiques & sac ri leges n'osant en porter récrit dans l'Arche, les grava sur des bronzes et des marbres ; sur lesquels il les retrouva aprés le déluge. Sixte de Sienne au z. livre de sa Bibliothèque rapporte qu'on attribuoit à Cham un detestable livre intitulé Scripturæ Chami fihi Noe, qui contenoit les regles, les preceptes 6c la pratique de la Necromance. D'autres disent que Zoroastre étoit Mitsraim l'un des fils de Cham -, que ce nom de Zoroastre signifie astre vivant, 6c qu'il fut ainsi nommé à cause des miracles qu'il faisoit par cette magie, qu'il avoit apprise de ses peres, c'est-à-dire de Cham. Le faux Berosed'Annius de Viterbe dit que Cham ayant trouvé son pere endormi, nud 6c découvert, le mania, & par des charmes magiques le lia 6c le rendit impuissant , afin qu'il ne pût approcher des femmes. Mais ces fables ne doivent point faire de tort à ce Patriarche, puis qu'elles sont sans aucun fondement dans l'Histoire. Il est vray que les
Afriquains ont fait de Cham leur Jupiter Ammon. Mais si nous voulions condamner tous les grands hommes dont les Payens ont fait des idoles, nous ferions le procès à Sem & à Japhet, & à la plûpart des autres Patriarches : car il est certain qu'ils ont été adorez par les Payens sous le nom de leurs faux dieux, comme nous aurons à le prouver dans la suite de cet ouvrage.
Un Auteur moderne, Allemand de nation , nommé foannes Ludovicus Hannemannus, veut que la malediétion de Noé ait donné à Cham une couleur noire , 6c que de là vienne la couleur des Abyfnns, qui sont décendus de lui. C'eil ce qu'il essàye d'établir dans le livre qu'il a intitulé, Curiosum serutinium nigredinis pofterorum Chami , id cst zsEthiopum. C'est
peut-être la plus ridicule pensée du monde. Si Cham avoit été noirci par la malédiction de Noe, ce qu'il eut communique a ses enfans cette noirceur avec le sang , pourquoi tous ceux qui font décendus de lui n'auroient-ils pas été noirs ? Pourquoy les Abyssins auraient - ils herité seuls de cette malédiction ? Pourquoy les Cananéens 6c les Pheniciens , qui étoient de la race de Cham, n'auroient-ils pas hérité de lui cette même noirceur ? Cela fait voir combien grande est la paillon des Auteurs , et combien les préjugez sont puissàns qu'on a conçûs contre nôtre Cham. Mais regardons un peu la chose avec un esprit desinteressé et dégagé de
ces préjugez.
CHAPITRE XII,
Des pechez typiques, & de la reprobation typique de quelques Anciens.
Je trouve que toutes les injures atroces qu'on fait à la mémoire de Cham, sont fondées sur deux choses. La premiere est le peché de Cham, la 2e la malédiction que Noé prononça contre lui. Parlons de l'un et de l'autre , & voyons h raisonnablement on peut conclure quelque chose d'aussi terrible contre la mémoire de ce Patriarche.. Pour ce qui est du peché de Cham, il, est vray que Moyse nous dit qu'il, vid la nudité de son pere , & qu'au lieu de la couvrir il alla le reveler à ses freres. Il y. avoit dans cette action de l'imprudence, du manque de respect, de la jeunesse, &, si l'on veut, de l'impudence. Mais je ne saurois concevoir qu'elle fût d'un aussi méchant caractère que l'inceste de Lot, que l'adultere et le meurtre que David commit dans l'araire d'Urie.& de Bersabée, que les desordres de la vie de Samson,. & que l'idolâtrie de Salomon. Lescrimes de ces Saints ne nous sont pas des preuves de leur réprobation quoy qu'ils soient incomparablement plus grands que celui de Cham. Et ces crimes n'ont pas empêché, qu'ils n'ayent été de glorieux types de Jesus-Christ, & bien que l'Ecriture ne parle pas de la repentance de Lot, ni de celle de Salomon , nous ne devons pourtant pais conclure qu'ils sont morts dans l'ipnpenitence. Aussi n'avons-nous aucune raison de croire que
Cham n'ait pas eu une salutaire confusion de son péché, quoy que cela, ne nous soit pas dit. Mais pour mieux connoître la nature, de ce péché, je souhaite qu'on fasse une remarque très importante, c'est que Dieu dans les anciens tems nous vouloit donner des types, non seulement du Messie, & de ses actions , mais aussi de toutes les choies, qui devoient arriver sous l'alliance de Grâce. Il nous a voulu donner des figures., non seulement du bien, mais aussi du mal. Et: si d'une part il,nous a voulu representer les actions de sa grace par des types -, par d'autres types opposés, il nous a voulu faire connoître la manière ingrate, dont quelques hommes recevroient ses grâces et ses bienfaits.
Ainsi il est certain qu'une partie des pechez, des Anciens, dont le St. Esprit nous a voulu conserver la mémoire , étoient des pechez typiques. Par exemple le peché de Caïn, qui s’éleva contre son frere ey le tua. est un péché typique, qui nous represente les efforts .que le monde devoit faire pour la ruine de l'Eglise*, Car St. Augustin a très judicieusement remarqué, que ce qu'il appelle les deux Citez,, l'une de Dieu,, l'autre du Diable , avoient commencé par Caïn & par Abel , & que, la conduite de Caïn qui tue son frere, & qui le premier bâtit une ville , est l'image de la conduite des mondains, qui usent de violence contre l'Eglise , & qui cherchent des établissemens fermes dans le monde. On me dira sans doute qu'il y a quelque chose de très réel dans le crime de Caïn 5 & qui est plus que typique. Il est vrai, il y a un homicide tres-reel, et tres conamnable , & trés-méchant -, mais la persécution de l'Eglise dans ce crime n'est
que typique. Les types sont du nombre des figures, & l'on définit le signe id quod est uma res, & aliam significat, ce qui est une chose, et en signifie une autre : ainsi cette action de Caïn est une chose, & en signifie une autre qu'elle n'est pas. C'est un vrai meurtre, voilà ce qu'elle est> mais elle signifie la persécution du monde contre l'Eglise, & c'est ce quelle n'est pas. Car si Caïn persécuta son frère, ce ne fut pas en le considerant comme membre de l'Eglise.
Il est vrai que ce crime de Caïn a quelque chose d'atroce ; à cause que c'est la premiere effusion de sang, & le premier attentat contre l'ouvrage de Dieu : c'est pourquoy il est d'un caractère particulier entre les pechez typiques, il y a type ou figure & realité. Au lieu que dans les autres pe-chez typiques, il y a figure, & peu ou point de realité. Car j'observe que les pechez typiques en eux-mêmes , pour la plûpart, sont trés-legers, & qu'ils signifient quelque chose de beaucoup plus criminel qu'ils ne sont eux-mêmes. Il faut se souvenir qu'il en est de ces pechez typiques & emblématiques, comme de tous les autres types & emblèmes, desquels
St. Paul disoit, qu'ils oeuvrent bien l'ombre des choses, mais qu'ils n'en avaient pas la verité & le corps. Ainsi ces pechez avoient l'ombre& l'apparence des crimes dont ils ont été les emblèmes, mais il n'est pas necessaire qu'ils en eussent la verité & le corps: il étoit même necessaire qu'ils ne l'eussent pas, à cause qu'il est de l'essence d'un type de n’être qu'une ombre, & d'être destitué de vérité.
L'action d'Esaü, qui vendit son droit d'aînesse pour un potage de lentilles, est un de ces pechez typiques, parce que c'est l'emblême de ceux qui renoncent aux biens du Ciel pour les vantiez de la terre. Ce peché qui étoit representé par ce type, est le plus grand de tous les pechez5 car il n'y a pas une plus grande fureur que celle de renoncer au Ciel, & à des biens éternels, pour des biens qui ne valent pas mieux qu'un potage de lentilles, puis qu'ils s'évanouissent incontinent. Cependant il faut avouër que le pé- ché d'Esaü étoit en soy bien leger, en comparaison de tant d'autres péchez que les Patriarches les plus saints ont commis. Etlî St. Paul a donné le nom de profane à ESau, ce n'est que parce que son action étoit le type des profanes. Ce peché est appellé profane, tout de même que les sacrifices de l'ancienne Loy étoient appellez propitiatoires, quoi qu'il n'y eût pas de veritable propitiation en eux j c'étoit parce qu'ils étoient les types du grand Sacrifice propitiatoire de J. C. Il me paroît tout à fait hors de raison de s'imaginer qu'Esau, quand il vendit son droit d'aînesse, eût d'autres sentimens que ceux qui paroissent dans ces paroles, se nfen vais mourir, dit-il, & a quoi me servira mon droit d'aînesse ? Il y a dans ce discours quelque chose de badin & de ridicule, dans ce qu'il supposoit qu'il devoit bien-tôt mourir, comme si Jacob n'eût pas été mortel comme lui-même : mais je ne vois pas là dedans la moindre ombre de profanation. On peutaflurer qu'il ne pensoit pas au droit de Sacrificateur, qu'il a, dit-on, méprisé > ce qui lui a donné le nom de profane. Il étoit profane comme il étoit reprouvé -, c'est-à-dire typiquement : fay aimé Jacob & fay hai Esaü. Ces deux hommes ont été les types de la tres-libre & tres-profonde conduite de Dieu, qui prend l'un Se rejette l'autre dans la distribution de la Grâce : on ne doit pas legerement prononcer la damnation des hommes, sur tout des Anciens & dans le fait d'Esaü, il faut se souvenir que les types ne sont pas ce donc ils sont types : pour damner Esaü il faudroit bien savoir l'Histoire de ses actions, de sa vie et de sa fin & c'est ce que nous ne savons pas. La Providence a trouvé à propos, pour nous donner de la crainte 6c de l'horreur pour le crime delaisser mourir les coupables , sans nous parler de leur repentance: mais il ne faut pas conclurre pourtant qu'ils ne se sont pas repentis. Je me ferois un grand scrupule de damner un aussi grand Prophete que Salomon, en supposant qu'il ne s'est pas repenti de ses idolatries; parce que l'Histoire Sainte ne nous en dit rien. Peut-être y a-t'il du myflere dans ce silence, comme il y en a dans celui qui supprime la naissance, la mort et les parens de Melchisedec.
Nous avons une chose tout-à-fait semblable dans l'Histoire de Lot &, de sa femme. Quand Dieu les tira de Sodome par la main de son Ange, cette femme tourna la tête du côté de Sodome, contre la défense qui lui avoit été faite. Il n'y avoit dans cette action rien que d'humain, rien qui ne fût du caraétére de son sexe, naturellement leger 6C curieux. Cependant Dieu voulut que cette femme fût un exemple remarquable de ses jugemens, il la convertit en une statue de sel. Le Seigneur Jésus. la donne pour un exemple, dont la memoire doit faire peur, sottvenez-vous, dit-il, de la femme de Lot. Cela semble lignifier que le crime de cette femme étoit atroce,. mais la verité est que c'étoit un événement purement typique, et que Dieu
vouloit qu'elle fût dans tous les siécles l'emblême de ces mondains, dans lesquels regne l'amour du monde, qui suivent la vocation de Dieu en se faisant violence, & qui ayant le cœur dans le monde tournent toujours leurs désirs de son côté. Mais il ne faut pas conclure, ni que cette action fût infiniment criminelle, ni que cette temme fût une méchante & une reprouvée.
Je viens au peché de Cham, il étoit typique, comme ceux dont nous-venons de parler: Dieu a voulu que -ce qu'il fit à son pere demeurât pour être un emblème à la posterité. Mais la question eut de quoy ce peché étoit un type et un emblème. Il ne faut pas s'imaginer que ce fût un type de ceux qui violent l'autorité paternelle, et le respect dû aux peres et meres; il faut se souvenir de ce que nous avons dit, que le type en qualité de signe est une chose, et qu'il en signifie une autre, Se qu'il n'est pas ce qu'il signifie. L'action de Cham étoit proprement cela, elle violoit l'autorité paternelle , et le respect dû à un père , et par conséquent elle devoit être l'emblème d'une autre chose. Pour moi je crois que cette action de Cham représentoit le crime de ceux, qui veulent découvrir ce que Dieu veut être caché, 6c qui exposent, pour assisi dire, la Providence de Dieu et ses mystères en opprobre par leur curiosité profane, en voulant penetrer trop avant dans les choses qu'il a couvertes d'un voile y et qu'il a dérobées à nôtre vue; c'est la source de toutes, les impietez de nos libertins y c'est la semence de l'apostasies c'est pourquoi ce crime a aussi bien mérité d'avoir son type que Papostasie même. Mais au reste il n'est point du tout nécessaire que nous attribuions à Cham d'autre principe que la légèreté et l'imprudence. Quand même l'on ne pourroit justifier Cham, ni empêcher que ce qu'il fit à son pere ne passat pour une aétion très criminelle, croit-on que cela le rendît incapable d'être le type de Jesus-Christ Samson n'a-t-il pas dans sa vie des endroits qu'on ne sauroi tjustifier & l'on feroit le plus grand tort du monde à Cham, de comparer ce qu'il fit à son pere à l'idolâtrie de Salomon., Cependant ce Samson Se ce Salomon sont d'admirables types de Jesus-Christ. Il y a un grand scandale à noircir la vie des Anciens en exaggerant leurs défauts: Mais il en; édifiant de voir ramener leurs fautes des excés où les ont portez quelquefois les Theologiens, pour les mettre dans leur juste grandeur.
Je viens maintenant à la malediétion que Noé prononça par un esprit de Prophetie contre la race de Cham; & je soûtiens que ce n'est point un fondement legitime de noircir la mémoire de ce Patriarche, comme on fait. Il est à remarquer que Noé n'a pas maudit Cham la malédiction est tombée sur Canaan, Maudit soit Canaan , il sera serviteur des serviteurs de ses freres. Cela ne peut être sans mystere, que le pere ait peché, & que l'un des enfans ait été maudit. Il est clair que l'Esprit de Dieu a voulu dans cet oracle prédire ce grand événement , cette expulsion des Cananéens hors de leur pïays , afin que les enfans de Sem y logeassent. Il ne faut donc point étendre la punition du peché de Cham plus loin, ni l'appliquer ailleurs. Car si Cham lui-même avoit été maudit avec toute la posterité dans l'intention de Dieu, il n'y a aucune raison, pour laquelle Noe ne l'auroit pas dit nettement. Voici comme Moylè recite la choie; & Noé éveille de son vin , sût ce que sin fils le fins petit avoit-fait ; & pourtant il dit , Maudit sott Canaan , il sera serviteur des serviteurs de ses freres. Il dit aussi, beni soit l'Eternel le. Dieu de Sem, & Canaan lui soit fait serviteur. Dans tout cela le nom de Cham ne paroît pas. Il ne faut dc1P1c pas se persuader, que Noé par un esprit de vengeance ait voulu maudire ni Cham, ni sa race : mais feulement il prit occasion de déclarer ce que Dieu lui avoit
révélé, peut-être durant son dernier sommeil, de la destruétion future des Cananéens en faveur de la maison d'Israël.
Au reste si on excepte les Cananéens, nous ne voyons aucune marque d'une malédiction particulière dans tous les décendans de Cham. Il est vray que sa posterité fut étrangère des alliances depuis Moyse jusqu'à Jesus-Christ, mais il en fut de même de la posterité de Japhet: & d'un nombre innombrable de familles dont étoit comporée la race de Sem , Dieu n'excepta de cette malediétion generale que la seule famille d'Abraham. Et quand l'Evangile est venu au monde, tous les hommes indifféremment ont été appeliez ausalut, aussi bien la posterité de Cham que celle de Sem & de Japhet. On ne doit pas oppolèr que l'Afrique Se l'Egypt , qui
font tombées en partage aux enfans de Cham , ont porté des caraétcres de malédiction, parce que l'Egypte est estimee la source de toutes les superstitions, & que c'est où l'on a vû regner les plus grandes abominations de l'idolâtrie. Je répondrais que les Arabes, qui sont décendus d'Abraham par Ismaël, ÔCpar les enfans de Ketura sa seconde femme, ont toûjours porté un caractère de malediétion beaucoup plus sensible ils ont toujours été infâmes par toute la terre, voleurs, sans foy & sans religion. L'Evangile y a fait très peu de progrés. Le Christianisme des Arabes ne nous est connu dans l'Histoire ancienne quasi que par quelques heresies, qui y prirent naissance, pour la ruïne desquelles on envoya Origene dans l'Arabie. Et enfin ce pays est devenu le siege de la detestable Sette de Mahomet , 6c la source d'où elt parti ce torrent d'impiété, qui a inondé les deux tiers du monde habitable. Dans ce premier siécle les prospérités temporelles étoient les plus sensibles marques de la bénédiction de Dieu ; et
même les benediétions spirituelles ne se promettaient en ce tems-là qu'en des termes empruntez des benediétions temporelles. Or nous voyons que ta race de Cham a jouï des plus grandes prosperitez temporelles. Les grands Empires d'Assyrie 6c de Perie , qui sortirent incontinent de la race de Cham , ne paroissent pas être un effet de malédiction. Ainsi je conclus, que Cham ni sa race n'ont point été maudits , non pas même les enfans de Canaan : car cette malediétion n'eut son accomplissement que dans la génération qui vi voit du tems de Josué. Et il ne faut pas s'imaginer que les Cananéens du tems d'Abraham fussent plus maudits ey plus malhonnêtes gens que les autres peuples du monde.
Quand il feroit vrai que la malédiction que Noé prononça auroit été adressee à Cham en vûë de son péché , il ne s'ensuit pas delà, qu'il eût été réellement maudit. Et là-desius il faut remarquer, qu'il y avoit en ce tems-là des malédictions et des reprobations typiques, tout de même comme il y avoit des pechez typiques. Dieu nous a voulu représenter dans les types le mystere de la prédestination comme les autres mysteres, c'est- à-dire, ce choix libre que Dieu fait de toute éternité par ion élection, et qu'il fait dans le tems par cet acte de misericorde, qu'on appelle la vocation. Selon cette liberté, d'une même masse d'hommes, formez d'un même sang, égaux dans les malheurs 6c dans les privilèges de leur naissance, Dieu choisît l'un et laisse l'aune : Dieu, dis-je, nous a voulu donner des types de cette élection 6c de cette réprobation, et de cette souveraine liberté avec laquelle il distribue ses graces salutaires, c'est pourquoy Dieu choisit Abel & accepta son sacrifice, et méprisa celui de Caïn. C'est pour cela même qu'il rejetta Cham, qu'il négligea Japhet et se reserva Sem. Enfin dans la vue du même mystere, des deux Enfans d'Isaac, formez en même tems, conçûs dans le rein d'une même mère, Dieu choisit l'un et reprouva l'autre, le plus grand servira au moindre s J'ai aimé
facob & j'ai haï Esaii. Mais il faut remarquer, que ces réprobations typiques regardoient feulement la race de ceux qui étoient rejettez, et que de là on ne peut conclure la réprobation personnelle de ces Patriarches que Dieu n'a pas voulu choisir, c'est-à-dire dont il n'a pas voulu choisir la race pour en composer l'Eglise et en faire descendre le Messie. Le pauvre Esaii est tellement décrié dans les chaires ce dans les écoles, qu'à peine y a-t-il de la sûreté à prendre son parti, à soutenir qu'il n'a point été reprouvé, et à penser charitablement de son salut. On veut former un puissant préjugé contre lui de ce que S. Paul au 9. chap. de l'Ep. aux Rom. les met, Jacob 6c lui, pour l'emblème de l'élection et de la réprobation éternelle : Car devant que' les enfants fussent nez, & qu'ils eussent fait ni bien ni mal, afin que le propos arrête selon l'election de Dieu demeurât , non point par les œuvres, mais par celui qui appellera luy fut dit, le plus grand servira au moindre, ainsi qu'il est écrit , fat aimé facob & ai haï Esaii.
Cependant je mis certain qu’il y auroit de la témérité ce du défaut de charité à prononcer là-dessus la reprobation et la damnation d'Esaii.
Nous ne voyons rien dans sa-vie qui soit d'un méchant homme, & lsaac,qui étoit un Prophete & un grand Saint, n'eût pas eu pour lui l'attachement qu'il avoir, s'il eût été méchant et reprouvé. Moyse nous dit bien que les femmes Cananéennes qu'Esaû. prit furent en amertume de cœur à Isaac Se à Rebecca : mais il ne. nous est rien dit de semblable d'Esaii lui-même.. Le dessein qu'il eut de tuër son frere, quand son pere seroit mort, est. un grand peche: mais il n'y a rien qui doive paroître étrange après ce qui s'étoit pasle entre ces deux freres. Après tout, ce qu'il n'executa pas ce dessein fait plus voir de. bonté d'ame, que le projet qu'il avoit formé ne découvre de corruption. Les pleurs qu'il versa en saluant, ce frere, dont il croyoit avoir tant de sujet de se plaindre, montrent qu'il avoit un grand fonds de bonté & tendresse. Enfin les Théologiens, qui veulent que Job & ses amis fussent des descendants d' Esaü , doivent avouer
que la connoissance et la crainte de Dieu se conserverent long-tems dans sa famille: si-Esaü avoit été lui-même un impie 6c un méchant, il n'y a pas d'apparence qu'il eût communiqué la crainte de Dieu à ses enfans. Ce n'est pas que nous soyons dans ce sentiment que Job fût décendu d'Esaü; mais je. conclus que cette opinion étant la plus commune entre les Theologiens, pendant qu'ils font tant d'honneur aux enfans, ils ne doivent pas avoir une-si méchante opinion du pere.
Je souhaite qu'on .applique à Cham tout ce que je viens de dire d'Esaii et que l'on dise, quela malédiction qui fut prononcée contre sa race et sa réprobation furent typiques, 6c ne le regardoient pas personnellement. Ainsi il n'y a rien qui nous doive empêcher de croire, qu'il se repentit, qu’il imita les actions de son pere Noé, & qu'il se rendit digne des plus grandes faveurs de Dieu, En effet il est allez difficile de concevoir, comment un homme qui avoit vû de si grands miracles pouvoit être méchant et impie. Mais il y a de certains noms dans l'Histoire qui sont marquez avec distinction pour le bien et pour le mal, à cause de l'usage continuel que les Orateurs en font dans leurs discours. Ces noms d'Esau, de Cham, de la femme de Lot, ne sauroient revenir de.la flétrissure qui repose sur eux. Il n'y a pas jusqu'a. la pauvre Marthe .fœur de Marie et de Lazare, femme trés-pieuse, dont les prédicateurs ne ternissent la réputation par leurs figures. On la pose comme l'emblème de ceux qui s'appliquent- excessîvement aux affaires du monde, et qui négligent les oeuvres de pieté : on l'oppose aux Maries, aux dévotes, qui tont continuellement aux pieds de Jçfùs-Christ .., c'est-à-dire dans l'exercice de la dévotion et de la vie contemplative. Je ne veux pas ôter aux Orateurs ces exemples, qui leur sont des sources d'ornemens: je consens que les actions d'Esaii, de Cham, de la femme de Lot loient posées pour, emblème, de la conduite des mondains, cela est même de l'intention de Dieu. Mais il faut prendre garde de ne pas confondre les personnes avec les actions, ni de donner aux actions plus de crime et de malignité qu'elles n'en ont. Dieu pour des raisons très sages a voulu punir certains hommes, en exposant leur memoire &, leurs noms à une flétrissure éternelle. Mais il ne s'en-
fuit nullement, que les personnes qui ont porté ces noms soient reprouvées devant Dieu..
Pour moy je tiens que les préjugez n etoient pas si puissans, ce que nous venons de dire suffiroit pour justisier Cham, & qu'il n'y auroit aprés cela aucune difficulté à confesser que ce Melchisedec étoit Cham. Sur tout je souhaite que l'on pese l'opinion des Théologiens, qui d'un consentement presque unanime veulent que ce Melchisedec fût un Prince Cananéen, c'est-à-dire un homme de la race maudite de Cham, de la branche même qui seule avoit été maudite. Je voudrois bien qu'on se fît justice là-dessus. Pourquoi veut-on bien donner ce grand honneur à l'un des enfuis de Canaan, sur lequel étoit tombée la malédiction, et pourquoi le refuse-t-on au pere qui dans le fond n'a point été maudit? Comment peut-on s'imaginer qu'un homme descendu de Cham ait eu une sainteté, qui l'ait rendu digne d'être type glorieux de Jesus-Christ, si Cham luy-même a été méchant homme? Il est donc clair qu'il est beaucoup plus
raisonnable de faire Cham Melchisedec , que de faire Melchisedec un simple Cananéen.
Qui sait si Dieu aprés la repentance de Cham ne lui changea pas son nom en celui de Melchisedec, parce que le premier devoit devenir infame dans l'Eglise, Se que le second devoit être en une éternelle benediction? Qui fait si Cham revenu à lui même n'eût pas une si grande confusion de sa faute, quoi que legere, que cela le porta à l'expier par une vie tout à fait sainte & exemplaire ? Qui l'lit si Cham devenu Melchisedec ne choisit pas sa demeure particulièrement entre les Cananéens, parce que cette partie de ses décendans avoit été soûmise à la malédiction, & que par ses sacrifices, ses prieres & ses exemples il vouloit essayer de rompre la force de cette sentence, & de la faire révoquer, en retenant le peuple
Cananéen dans le service du vrai Dieu ? Qui sait enfin si l'honneur que les Payens ont fait à Cham d'en faire leur Jupiter le plus grand des Dieux, quoi que ce fût le plus jeune des trois freres, ne vient point de cette dignité Sacerdotale qu'il avoit possèdée par excellence, jointe avec la dignité Royale dont Dieu l'avoit honoré, pour le rendre un type glorieux du Même ? N'est-il pas vray que par-là Dieu l'avoit disiingué & l'avoit élevé sur tous les autres hommes, &que cela a bien pû servir de fondement à cette Theologie, qui en a fait le pere des hommes des Dieux.
Je n'ay plus qu'une remarque à faire sur cette matiere, c'est que dans la Theologie des Phéniciens ou Cananéens, dont nous avons un fragment tiré de Sanchoniaton dans les oeuvres d'Eusebe, il est souvent parlé d'un certain Sidic , ou Sedec, qu'il interprète par le mot de J'ufle. Je ne saurois douter que ce Sidic, ou Sedec, ne soit nôtre Melchisedec. Sanchoniaton, qui étoit lui-même Phenicien & Cananéen, dit que ce Sidec elt pere des Dioscouroi, des Carybes, des Corybantes & des Dieux Samothraces. Or, ces dionspoi, comme chacun sait, ce sont les enfans de Jupiter. Il est encore certain que les Carybes et les Dieux Samothraces étaient les grands Dieux des Payens, comme nous le prouverons ailleurs. Or si ces Carybes ces grands Dieux étoient fils de Jupiter, & que Jupiter fût Cham, comme les dodes en conviennent assez, & qu'enfin le Sidec de Sanchoniaton fût Jupiter, il est clair que le Jupiter des Payens, le Cham de Moyse & son Melchisedec étoient une seule & même personne j & par conséquent il se trouvera que Sidec ou Melchisedec étoit véritablement Cham. Au reste j'abandonne toutes ces conjectures au jugement des doctes. Je ne prêtent pas les produire comme des Oracles, mais je ne say si l'on peut dire quelque chose de plus vraysemblable.