Encyclopédie théologique, "Nègres"

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Bergier, Nicolas “Encyclopédie théologique, "Nègres"”, RelRace, item créé par Mathilde Plais, dernier accès le 21 Nov. 2024.
Contributeur Mathilde Plais
Sujet Dénonciation de la malédiction de Cham
Description Dans son Encyclopédie théologique ; 33-35. Dictionnaire de théologie dogmatique, liturgique, canonique et disciplinaire (volume 3), Nicolas Bergier consacre une entrée au terme "Nègres".
Auteur Nicolas Bergier
Éditeur Paris : Ateliers catholiques du Petit-Montrouge
Langue fr

Transcription

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NÈGRES. Ces peuples donnent lieu a deux questions qui tiennent à la théologie il s'agit de savoir, 1° si les nègres sont d une origine différente de celle des blancs 2° si la traite des nègres, et l'esclavage dans lequel on les retient pour le service des colonies de l'Amérique est légitime.
L L'Ecriture sainte nous apprend que tous les hommes sont nés d'un seul couple, que tous ont par conséquent la même origine d'où il s'ensuit que la différence de couleur qui se trouve dans les divers habitants du monde, vient du climat qu'ils habitent et de leur manière de vivre. Cela paraît prouvé par la dégradation insensible de couleur que l'on remarque en eux, à proportion qu'ils sont plus ou moins éloignés ou rapprochés de la zone torride. En général les peuples de
nos provinces méridionales sont plus basanés que nous, mais ils le sont beaucoup moins que les habitants des eûtes de Barbarie, et ceux-ci sont moins noirs que ceux.de l'intérieur de l'Afrique. Cette variation est à peu près la même dans les deux hémisphères. On n'en est pas étonné, quand on remarque la différence de teint qui règne entre les habitants d'un même climat ou d'un même village, dont les uns vivent plus renfermés, les autres sont plus exposés par leur travail aux ardeurs du soleil entre le teint d'une même personne pendant l'hiver et pendant l'été. On prétend même qu'il est prouvé par expérience que les blancs transplantés en Afrique, sans avoir mêlé leur sang avec les nègres, ont contracté insensiblement la même couleur et les mêmes traits du visage que les nègres, au contraire, transportés dans les pays septentrionaux, se sont blanchis par degrés sans avoir croisé leur race avec les blancs. C'est l'opinion des plus habiles naturalistes, en particulier de Buffon, de MM. Paw, Scherer, etc. D'autres philosophes beaucoup moins instruits, mais qui se sont fait un point capital de contredire l'Ecriture sainte soutiennent que ces expériences sont fausses que les b!ancs ne peuvent jamais devenir parfaitement noirs, que les leur et leurs traits, dans quelque climat qu'ils soient transplantés. Ils ont prétendu prouver l’impossibilité de ces transmutations par-
faites, par l'examen du tissu, de la peau des nègres. Selon quelques-uns, la cause de la noirceur de ceux-ci est une espèce de réseau, semblable à une gaze noire, qui est placé entre la peau et la chair; ils ont appelé ce tissu une membrane muqueuse. D'autres ont dit que c'est une substance de savoir pourquoi elle uns, no'.re dans les autres, et de prouver que, sans croiser les races, ces substances ne peuvent changer de couleur voilà ce que nos savants dissertateurs n'ont pas fait. Puisqu'elles ne sont que brunes dans les peuples basanés, leur couleur peut donc se dégrader donc elles peuvent passer du blanc au noir ou au contraire. Les uns citent des expériences, les autres les nient auxquels devons-nous croire ? En attendant que tous se soient accordés, il nous est permis de penser que tous les hommes, blancs ou noirs, rouges ou jaunes, sont enfants d'Adam, comme l'enseigne l'Ecriture sainte. Quelques écrivains ont imaginé que les nègres sont la postérité de Caïn, que leur noirceur est l'effet de la malédiction que Dieu prononça contre ce meurtrier qu'il faut ainsi entendre le passage de la Genèse ( iv, 15), où il est dit que Dieu mit un signe sur Caïn, afin qu'il ne fut pas tue par premier qui le rencontrerait. De là un de nos philosophes incrédules a pris occasion de déclamer contre les théologiens. Avec un peu de présence d'esprit, il aurait vu que la théologie, loin d'approuver cette vainc conjecture, doit la rejeter. Nous apprenons par l'histoire sainte que le genre humain, .tout entier fut renouvelé, après le déluge, par la famille de Noé or, aucun des fils de Noé n'était descendu de Gain et ne s'était allié avec sa race. Pour supposer que cette race maudite subsistait encore après le déluge, il faut commencer par prétendre que le déluge n'a pas
été universel, et contredire ainsi l'histoire sainte. Il y aurait donc moins d'inconvénient à dire que la noirceur des nègres vient de la malédiction prononcée par Noé contre Cham son fils, dont. la postérité a peuplé l'Afrique (Gen. x, 13 ).. Mais, selon l'Ecriture, la malédietion de Noé ne tomba pas sur Cham, mais sur Chanaan, fils' de Cham or, l'Afrique n'a pas été peuplée par la race de Chanaan, mais par celle de Phut. L'une de ces imaginations ne serait donc pas
mieux fondée que l'autre (1)..
II. La traite des nègres et leur esclavage sont-ils légitimes? Cette question a été discutée dans une dissertation imprimée en 1764. L'auteur soutient que l'esclavage en lui-même n'est contraire ni à la loi de nature, puisque Noé condamna Chanaan à être esclave de ses frères, qu'Abraham et Jacob ont eu des esclaves; ni à la loi divine écrite, puisque Moïse, eh faisant des lois en faveur des esclaves, ne condamne point l'esclavage; ni à la loi évangélique, puisque celle-ci n'a donné aucune atteinte au droit public établi chez toutes les nations. En effet, saint Pierre et saint Paul ordonnent aux esclaves d'obéir à leurs maîtres, et aux maîtres de traiter leurs esclaves avec douceur. Le concile de Gangres a frappé d'anathème ceux qui, sous prétexte, de religion, enseignaient aux esclaves à quitter leurs maîtres, a mépriser leur
autorité. Plusieurs autres décrets des conciles supposent qu'il e~t permis d'avoir des esclaves et d’en acheter et de les vendre. Au XIIIe siècle, l'esclavage a été supprimé, non par les lois ecclésiastiques, mais par les lois civiles. Il ajoute qu'en transportant des nègres en Amérique, on ne rend pas leur sort plus mauvais, puisqu'ils ne seraient pas moins esclaves dans leur pays, et qu'ils y seraient encore plus maltraités; au lieu que dans les .colonies ils sont protégés par
des lois faites en leur faveur ils y trouvent d'ailleurs la facilité d'être instruits ce la religion chrétienne et de faire leur salut. L'auteur distingue quatre sortes d'esclaves 1° ceux qui ont été condamnés pour des crimes à perdre leur liberté; 2e ceux qui ont été pris a la guerre; 3° ceux qui sont nés tels 4° ceux qui sont vendus par leurs pères mères ou qui se vendent eux-mêmes. Il ne voit dans ces différentes sources d'esclavage aucune raison qui rende illégitime la traite
des nègres. fi convient des abus qui naissent très-souvent de l'esclavage, mais il observe que t'abus d'une chose innocente en elle-même ne prouve pas qu'elle soit contraire au droit naturel; on peut réprimer l'abus et laisser subsister l'usage légitime.
Le philosophe qui a fait a traité de la Félicité publique, ne condamne pas non plus absolument l'esclavage des nègres mais il ne t'approuve pas positivement. « Quoiqu'on ne puisse assez gémir, dit-il, de ce que l'avarice a conservé parmi les peuples de l'Occident ce que la barbarie et l'ignorance ont établi et maintenu dans l'Orient, nous observerons pourtant, 1 que l'esclavage n'est plus connu chez les chrétiens, si ce n'est dans les colonies 2 que les esclaves sont tous tirés d'une nation très-sauvage et .très brute, qui vient elle-même les offrir à nos négociants ; 3° que si la raison et la philosophie s'écrient qu'il, fanait traiter le nègre comme l'Européen, il est cependant vrai que la grande dissemblance de ces malheureux avec nous rappelle moins les sentiments d'humanité, et sert à entretenir le préjugé barbare qui les tient dans l'oppression 4° que si ces esclaves ont été traités avec une cruauté très-condamnable, l'expérience, a souvent prouvé que jamais la douceur et les bienfaits n'ont pu ôter à cette nation son caractère lac', ingrat et cruel. Il y a même tout lieu de croire que, si les esclaves des colonies avaient été des Européens, ils seraient déjà rentrés dans leur droit de citoyens,comme les serfs de notre gouvernement féodal ont peu a peu découvre la liberté civile: Enfin le nombre des esclaves est bien moins considérable de nos-jours, puisque sur cent millions de chrétiens qui existent à présent, on- ne compte, assurément pas un million d'esclaves, au lieu que pour un million de Grecs, il y avait plus de trois millions de ces infortunés. "On voit aisément qu'aucune de ces raisons n'est sans répique, elles tendent plutôt à excuser l'esclavage des nègres qu'à Je .justifier; après mûre; réflexion, nous ne pouvons nous résoudre à les approuver, et il nous parait que l'on peut y en opposer de plus solides.
Au mot ESCLAVEE, nous avons fait voir, 1° que sous la loi de nature.et dans l'état de société purement domestique, l'esclavage était inévitable, et qu'il n'entraînait point alors les mêmes inconvénients que dans l'état de société civile l'exemple des patriarches ne prouve donc rien dans la question présente. 2" Nous avons observé qu'il n'était pas possible a Moïse de le supprimer, entièrement; les fois 'qu'il ont en faveur des esclaves .étaient plus douces et plus humaines que celles de toutes les autres nations l'on ne peut encore tirer avantage de la loi de Moïse. 3°Jésus-Christ et les autres auraient commis une très-grande imprudence en réprouvant absolument l'esclavage, puisqu'il était autorisé par le droit public de toutes les nations mais les leçons de charité universelle, de douceur et de fraternité qu'ils ont données à tous les hommes, ont contribué pour le moins aussi efficacement à l'adoucissement et a la sup-
pression de l'esclavage, qu'auraient pu faire des lois prohibitives. C'est l'irruption des
-barbares qui a retardé cette heureuse révolution tant que le même droit public a subsisté les conciles n'ont pu faire. que ce qu'ils ont fait. Mais à présent ce droit abusif ne subsiste plus l'esclavage a été supprimé en Europe par tous les souverains la question est de savoir si, après la réforme de cet abus en Europe, il a été fort louable d’aller le rétablir en Amérique; si on peut encore l'envisager des mêmes yeux qu'aux X et au XIIe siècle si t'état des nègres dans les colonies il n'est pas cent fois plus malheureux que n'était celui des serfs sous le gouvernement
féodal..
Le principe posé par l'auteur de la dissertation, savoir, que depuis le péché originel l'homme n'est plus libre de droit naturel nous semble très-ridicule. Nous savons. très- bien que c'est en punition du péché d'Adam que l'homme est sujet à être tyrannisé, tourmenté et tué par son semblable mais enfin les Européens naissent coupables du péché originel aussi bien que en punition du péché d’Adam il faut donc que les premiers commencent par prouver que Dieu leur a donné l'honorable commission de faire expier ce péché aux habitants de la Guinée, et qu'ils sont cet égard les exécuteurs, de la justice divine. Lorsque les nègres, révoltés de l'esclavage; usent de perfidie et de cruauté envers leurs maitres, ils leur font aussi porter à leur tour la peine du péché de notre premier père. Avant que la fureur du comme, ce maritime et l'avide jalousie n'eussent fasciné tes esprits.et perverti tous les principes,. on n'aurait pas osé mettre en question s'il était permis d'acheter et de vendre des hommes pour en faire des esclaves. C'est encore une mauvaise excuse de dire que les nègres esclaves chez eux seraient plus maltraités qu'ils ne le sont dans nos colonies il ne nous est pas permis de leur faire du mal, de peur que leurs compatriotes ne leur en fassent encore davantage. Nous. persuadera-t-on que c'est par un motif de compassion .et d'humanité que les négociants européens font la traite des nègres ? Il y a un fait qui passe pour certain, c'est qu'avant l'établissement de ce
commerce les nations africaines se faisaient la guerre beaucoup plus rarement qu'aujourd'hui que le motif le plus ordinaire de leurs guerres actuelles est le désir de faire des prisonniers pour les vendre aux Européens. C'est donc à ces derniers que ces nations malheureuses et stupides sont redevables des iléaux qui les accablent et des crimes qui se commettent chez elles. Avant de savoir si nous avons droit de les acheter, il faut examiner, si quelqu'un le droit naturel de les vendre Il n'est pas question.de nous fonder sur te droit injuste et tyrannique qui
est établi parmi ces peuples, mais sur tes notions du droit nature!, tel que la religion nous le fait connaitre. S'il n'y avait point d'acheteurs, il ne pourrait point y avoir de vendeurs, et ce négoce infime tomber it de lui-même. Nous espérons que l'on n'entreprendra pas l'apologie des négociants turcs, qui vont acheter des filles en Circassie pour en peupler-les serais de Turquie. On dit qu'il n'est pas possible de cultiver des colonies à sucre autrement que par des nègres: Nous pourrions répondre d'abord que, dans ce cas, il vaudrait mieux renoncer aux colonies qu'aux sentiments d'humanité; que la justice, la charité universelle et la douceur
sont plus nécessaires à toutes les nations que le sucre et le café. Mais tout le monde ne
convient pas de l'impossibilité prétendue de se passer du travail des nègres plusieurs témoins, dignes de foi assurent que si les colons étaient moins avides, moins durs, moins aveuglés par un intérêt sordide, il serait très-possible de remplacer avantageusement les nègres par de meilleurs instruments de culture et par le service des animaux. Lorsque les Grecs et les Romains, faisaient exécuter par leurs esclaves ce que font chez nous les chevaux et les bœufs, ils imaginaient que l'on ne pouvait pas faire autrement. L'on ajoute que les nègres son naturellement ingrats, cruels, perfides, insensibles aux bons traitements, incapables d'être conduits autrement que par des coups. Si cela était vrai, ce serait un sujet de honte pour la nature humaine, qu'il fût plus difficile d'apprivoiser les nègres que les animaux dans ce cas, il
fallait laisser cette race abominable sur le malheureux sol où elle est née, et ne pas infecter de ses vices, les autres parties du monde..
Mais n'y a-t-il pas ici une dose de l'orgueil des Grecs et des romains? Ils déprimaient les autres peuples, ils les nommaient barbares, pour avoir le droit de les tyranniser. Nous avons interrogé sur ce point des voyageurs, des missionnaires, des possseurs de colonies tous ont dit qu'en général les maîtres qui traitent leurs esclaves avec douceur, avec humanité, qui les nourrissent suffisamment, et ne les surchargent point de travail, ne s'en trouvent que mieux il est donc fâcheux que les Européens, qui ont chez eux tant de douceur, d'humanité et de philosophie, semblent être devenus brutaux et barbares, dès qu'ils ont passé la ligne ou franchi l'Océan. Puisque l'on convient que l’esclavage entraine nécessairement des abus, qu'il, est très difficile à un maître d'être juste, chaste, .humain envers, ses esclaves, il y a bien de la témérité de la part de tout particulier qui s’expose à cette tentation, et qui, pour augmenter sa fortune n'hésite point de risquer la perte de ses vertus.
Quant au zèle prétendu, pour la conversion des nègres il y a plusieurs faits capables de le rendre fort suspect. Quelques voyageurs ont écrit que certaines nations européennes, qui ont des établissements sur les côtes de l'Afrique, traversent tant qu'-elles le peuvent
les travaux et les succès des missionnaires, de peur que si tes nègres devenaient chrétiens, ils ne voulussent plus vendre d'esclaves. Il y en a qui disent que certaines autres nations établies en Amérique ne se soucient plus.de faire instruire et baptiser leurs nègres parce qu'elles se font scrupule d'avoir pour esclaves <emr~ rë)'m'ek="" car:="" voila="" du="" >leur frères en Christ. Voilà du zèle qui ne ressemble guère a celui des apôtres~ Nous savons que des chrétiens faits esclaves par des infidès les ont réussi autrefois à convertir leurs maîtres, et même des peuples entiers; mais nous ne voyons point
d'exemples de chrétiens qui aient réduit des infidèles en servitude, afin de les convertir.
Ce n'est pas assez qu'un dessein soit louable, il faut encore que les moyens soient Légitimes il y des missions de capucins et d'autres religieux dans la Guinée, dans les royaumes d'Oviéro, de Ben'n, d'Angola, de Congo,. Loango et du Monomotapa. Voila le véritable zèle;.mais il n'en est pas ainsi des marchands d'esclaves. Si les premiers ne font pas beaucoup de fruit, c'est que ces malheureux peuples doivent 'être prévenus contre, la religion des Européens par la
conduite odiouse de ceux qui la professent. On se souvient des préjugés terribles qu'inspira aux Américains contre le christianisme la barbarie des Espagnols. Les dissertations qui ont pour objet de justifier la traite des nègres ressemblent un peu trop aux diatribes par lesquelles le docteur Sépulvéda voulait prouver que les Espagnols avaient le droit de réduire les Américains en servitude, pour les faire travailler aux mines, et de les traiter comme des animaux; il fut condamné par l'université de Salamanque, et il méritait de l'être. Nous ne faisons guère plus de cas des déclamations de nos philosophes, depuis est constant que quelques-uns, qui affectaient le plus de zèle pour l’humanité,faisaient valoir leur argent
en le plaçant dans le commerce des nègres. Par ces observations, nous ne croyons point
manquer de respect envers le gouvernement qui tolère, ce commerce; réfuter de mauvaises
raisons, ce n'est point entreprendre de décider absolument une question lorsqu'on en
apportera de meilleures, nous nous y rendrons volontiers.. Les gouvernements les plus équitables, les plus sages, sont souvent forcés de tolérer des abus, lorsqu'ils sont
universellement établis, comme Tusure, la prostitution, les pilleries des traitants, l'insolence .des nobles, etc. Comment lutter contre le torrent des mœurs, lorsqu'il entraine généralement tous les états de la société ? On ne peut pas oublier, qu'il fallut surprendre la religion de Louis XIII pour le faire consentir a l'esclavage des nègres, et lui persuader que c'était le seul moyen de les rendre chrétiens. On s'était déjà servi d'un pareil artifice pour séduire les deux souverains de Castille Ferdinand et Isabelle, et pour arracher d'eux des édits peu favorables aux Américains.