Histoire universelle de l'Église catholique

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René François Rohrbacher “Histoire universelle de l'Église catholique”, RelRace, item créé par Mathilde Plais, dernier accès le 26 Apr. 2024.
Contributeur Mathilde Plais
Sujet Le lignage de Noé
Description Dans son Histoire universelle de l'Église catholique (tome 1), Rohrbacher explique la répartition des peuples sur terre à partir de la descendances de Noé.
Auteur René François Rohrbacher
Éditeur Paris : Letouzey et Ané
Langue fr

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Dans une occasion mémorable, Noé fit entendre à ses trois fils  ce qui arriverait à leur postérité. Homme agricole, après le déluge, comme i l’avait sans doute été auparavant il commence à labourer la terre et planta une vigne, non seulement pour en manger le raisin, comme on avait fait jusqu’alors, mais pour en exprimer le jus et en faire une boisson. Ayant ainsi bu du vin dont il ne connaissait pas la force, il s’enivra et parut découvert dans sa tente. Cham, père de Chanaan, le trouvant en cet état, sortit dehors et vint en raillant le dire à ses deux frères. Mais Sem et Japhet, au lieu de l’imiter, en se moquant comme lui de leur père, étendirent un manteau sur leurs épaules, et, marchant à reculons, ils couvrirent en leur père ce qui devait y être caché. Noé s’étant réveillé après cet assoupissement que le vin lui avait causé, et ayant appris de quelle sorte l’avait traité son jeune fils, il dit pour le punir : « Que Chanaan soit maudit ! qu’il soit à l’égard de ses frères, l’esclave des esclaves ! Il ajouta Béni soit Jéhova, le Dieu de Sem et que Chanaan soit son esclave t Que Dieu étende les possessions de Japhet, et qu'il habite' dans les tentes de Sem et que Chanaan soit son esclave (Gen., 9) t » Sem et Japhet sont bénis, non pas Cham. Cependant ce dernier n'est pas maudit, peut-être parce qu'il avait été béni de Dieu; son fils, Chanaan, l'est à sa place. Il se peut que le premier il eût vu la nudité de son aïeul et s'en fût moqué avec son père c'est, entre autres, l'opinion des Hébreux. Quant à Sem, il reçoit une bénédiction plus haute que Japhet. L'Eternel est appelé le Dieu de Sem. Aussi c'est dans la race de Sem, chez les nations orientales, que la religion du vrai Dieu se conserve plus longtemps et plus pure. Nous y verrons, entre autres, la pénitence exemplaire de la grande ville
de Ninive. C'est dans la race de Sem que Dieu choisit son peuple particulier; c'est de la race de Sem que naitra le Sauveur du monde. Japhet, dont le nom signifie extension, s'étendit en effet prodigieusement dans sa postérité. De lui
sortent ces peuples conquérants; les Tartares, les Scythes, les Celtes, les Grecs, les Romains, les Européens modernes, qui ont porté et portent encore leur domination par toute la terre, en Asie, en Afrique et en Amérique, et qui règnent actuellement depuis la Chine jusqu'en Angleterre, et depuis l'Angleterre jusqu'à la Chine. Mais surtout ils habitent dans les tentes de Sem, dans les églises qu'ont
fondées. Jésus-Christ et ses Apôtres, descendants de Sem. La postérité de Cham, l'Egypte et l'Afrique, est privée de l’une et l’autre bénédiction. L’idolatrie parait plus tôt et plus grossière. Envahis, subjugués tour à tour par les Assyriens, les Perses, les Grecs, les romains, les arabes, pareils à Chanaan, tous les descendants de cham semblent depuis longtemps condamnés à l’esclavage : on les dirait chargés eux-mêmes d’exécuter la sentence. Le principal commerce des habitants d’une grande partie de l’Afrique est de se vendre les uns les autres comme esclaves aux descendants de Japhet, aux Européens. Ceux-ci, plus accessibles à l’humanité et à la religion véritable, cesseront d’acheter, mais quand ceux-là cesseront-ils de se vendre ou de se tuer ? L’histoire de Noé et du déluge se retrouve plus ou moins altérée dans toutes les traditions. On la rencontre là même où l’on s’y attend le moins. Par exemple, lorsqu’il y a trois siècles on découvrit le continent d’Amérique, on y découvrit la tradition du déluge universel.

 

Les Mexicains, dit un historien estimable de ce nouveau monde, avaient, aussi bien que toutes les autres nations civilisées, une connaissance distincte, quoique mêlée de fables de la création du monde, du déluge, de la confusion des langues et de la dispersion des peuples. Ils représentaient même tous ces événements par des peintures. Tous les hommes, disaient-ils, avaient été noyés dans une inondation générale; un seul homme, qu'ils appellent Coxcox, d'autres Teocipactli, s'était sauvé dans une barque avec sa femme, Xochiquetzal. Ils débarquèrent sur une montagne qu'ils appelèrent Colhuacan, et engendrèrent un grand nombre d'enfants, qui restèrent muets, jusqu'à ce qu'une colombe, du haut d'un arbre, leur eût appris des langues, mais si différentes, que nul ne pouvait comprendre l'autre (Clavigero. Storia del Mess, t. II, p. 6). Divers historiens d'Amérique, dit-il encore, racontent que les habitants de Cuba, interrogés par les Espagnols sur leur origine, donnèrent les renseignements suivants. Ils avaient ouI de leurs ancêtres que Dieu avait créé le ciel, la terre et toutes choses. En outre, un vieillard, présageant l'inondation par laquelle Dieu allait punir les hommes à cause de leurs péchés avait construit une grande chaloupe et s'y était embarqué avec sa famille et un
grand nombre d'animaux. Lorsque l'inondation eut diminué, il envoya un corbeau qui, trouvant beaucoup de corps morts, ne revint point; peu après, il lâcha une colombe, qui revint aussitôt avec un rameau de hoba dans le bec. Le vieillard ayant jugé que la terre était sèche, sortit du vaisseau, fit du vin avec des raisins sauvages, s'enivra et s'endormit. Un
de ses fils se moqua de sa nudité, que couvrit respectueusement un autre. A son réveil, il bénit celui- ci et maudit celui-tà. Pour eux, ils descendaient du dernier, et c'était la cause qu'ils allaient nus; tandis que les Espagnols, bien vêtus, descendaient peut-être de l'autre (Ibid., t. IV, p. 16). L'auteur que nous citons est d'autant plus digne de foi, que, né lui-même au Mexique, il parcourut ce pays dans toutes les directions, pendant plus de trente ans, pour recueillir les diverses traditions et peintures hiéroglyphiques. Ce qui achève de porter la certitude à son plus haut degré, c'est que, de nos jours, un savant célèbre ayant parcouru et étudié le tucme pays, y a retrouvé les mêmes peintures et les mêmes traditions. Expliquant dans un endroit l'histoire hiéroglyphique des Aztèques, depuis le déluge jusqu'à la fondation de la ville de Mexico, voici comme il s'exprime sur le premier de ces événements
« L'histoire commence par le déluge de Coxcox. Parmi les différents peuples qui habitent le Mexique, les peintures qui représentent ce déluge se sont trouvées chez les Aztèques, les Miztèques, les Zapotèques, les Tlascaltèques et tes Mechoacanèses. Le Noé de ces peuples s'appelle Coxcox, Tezpi, ou Teo-cipactii (dieu-poisson). H se sauva conjointement avec sa femme, Xochiquetzal, dans une barque, ou, selon d'autres, dans un radeau. La peinture représente Coxcox au milieu de l'eau, étendu dans une barque. La montagne, dont le sommet couronné d'un arbre s'élève au-dessus des eaux, est l'Ararat des Mexicains. Au pied de la montagne paraissent les têtes de Coxcox et de sa femme. Les hommes nés après le déluge étaient muets une colombe, du haut d'un arbre, leur distribue des langues représentées sous la forme de petites virgules. Il ne faut pas confondre cette colombe avec l'oiseau qui rapporte à
Coxcox la nouvelle que les eaux se sont écoulées. Les peuples de Mechoacan conservaient une tradition d'après laquelle Coxcox, qu'ils appellent Tezpi, s'embarqua dans un enfants, plusieurs animaux et des graines dont la conservation était chère au genre humain. Lorsque le grand Esprit ordonna que les eaux se retirassent, Tezpi fit sortir de sa barque un vautour. L'oiseau qui se nourrit de chair morte ne revint pas, à cause du grand nombre de cadavres dont était jonchée la terre récemment desséchée. Tezpi envoya d'autres oiseaux, parmi lesquels le colibri seul revint en tenant dans son bec un rameau garni de feuilles, alors Tezpi, voyant que le sol commençait à se couvrir d'une verdure nouvelle, quitta sa barque près de la montagne de Colhuacan (Humboldt. Vues des Cordillères, t. II, p. 168).

Une étonnante amnité dans les traditions, les hiéroglyphes, les monuments d'architecture, les institutions politiques et même les langues, a convaincu les savants de nos jours que l'Amérique s'est peuplée originairement par les émigrations de l'Asie, ou que du moins il y a eu d'anciennes communications entre ces deux portions de la terre. Après avoir donc entendu en Amérique la dernière colonie du genre humain, consultons-en la métropole dans l'Asie centrale. Mais avant d'arriver là du nouveau monde, un grand peuple se présente.

La Chine, qui, depuis deux siècles et demi avant l'ère chrétienne, forme une vaste monarchie, mais qui auparavant était divisée en plusieurs petits royaumes, nous offre dans sa chronique fabuleuse un personnage qui a plus d'un rapport avec Noé. C'est Fohi, son premier roi ou empereur. Il est dit que Fohi n'eut point de père, c'est-à-dire que Noé fut le premier homme sur la terre après le déluge. Ses ancêtres étaient d'un monde antérieur; et comme leur mémoire ne s'était point conservée dans les traditions des Chinois, Noé ou Fohi passa pour n'avoir point eu de père du tout. La mère de Fohi le conçut environnée d'un arc-en-ciel imagination qui, selon les apparences, vint de ce que Noé fut le premier qui aperçut l'arc-en-ciel, et de ce que les Chinois ontvoulu dire quelque chose de son origine. Fohi éleva avec soin des animaux de sept espèces différentes, qu'il avait coutume de sacrifier au souverain Esprit du ciel et de la terre; et Moïse nous apprend que Noé prit avec lui dans l'arche sept couples de chaque espèce d'animaux purs, et qu'après le déluge il en offrit des holocaustes à l'Eternel. La femme/ou
selon d'autres, la sœur de Fohi, s'appelait Niuva ou Niuhi, la souveraine des vierges, et Hoangmou, la souveraine mère. Le nom de Niuhi ou Niuva ne ressemble pas peu à celui de Noé ou Nouh, comme le prononcent les Orientaux. Au temps de Fohi et de Niuva, Kong-Kong fit le déluge, écrit Ventzé. Kong-Kong, dit Lopi, fut le premier des rebelles; il excita le déluge pour rendre l'univers malheureux; il brisa les liens qui unissaient Le ciel et la terre, et les hommes, accablés de mi- sères, ne pouvaient les souffrir. Alors Niuva, déployant ses forces toutes divines, combattit Kong-Kong, le défit entièrement et le chassa. Après cette victoire, Ile rétablit les quatre points cardinaux et rendit la paix au monde. Dans le Chou-King (p. 8), espèce de traité de morale historique à l'usage des rois, le philosophe Confucius nous montre le premier empereur de la Chine dont il parle Yao, occupé à faire écouler les eaux qui, s'étant élevées jusqu'au ciel, baignaient encore le pied des plus hautes montagnes, couvraient les collines moins élevées, et rendaient les plaines impraticables. Des particularités encore plus singulières se remarquent dans l'ancienne écriture chinoise. La figure de l'eau avec celle de la bouche et le signe de huit, signifie grande innondation une bouche, un navire et huit, navigation heureuse; eau et navire sous un triangle, signifie faveur, délivrance, échapper du; bouche, homme et nourriture, avec le signe de huit, anciens on ne sait rien de plus précis. Le signe deux, souvent aussi huit avec l'image des descendants, s'appelle postérité. Le signe huit avec la figure de la bouche, choisir, se diviser (Windischmann, t. I, p. 362). Enfin, selon l'histoire chinoise, Fohi s'établit dans la province de Chensi, qui est dans le Nord-Ouest de la Chine, du côté de l'Inde et du mont Ararat où s'arrêta l'arche de Noé; ce qui nous indique la route à suivre pour trouver des renseignements plus certains. En attendant, le vaniteux chinois, avec tout son respect,pour les ancêtres, a conservé moins bien la mémoire de l'ancêtre le plus fameux, que l'ignorant Américain.
L'Inde, plus près des lieux où les premiers descendants de Noé durent s'établir d'abord, nous offrira naturellement quelque chose de plus complet mais l'imagination des Hindous, plus féconde encore et plus hardie que celle des Grecs, l'entremêlera de merveilles poétiques auxquelles on n'est guère habitué en Europe. On lit donc dans un des poèmes sacrés de l'Hindostan. Désirant la conservation des troupeaux et des brahmanes (ou sages), des génies et des hommes vertueux, des védas (ou livres divins), de la loi et des choses précieuses, le Seigneur de l'univers prend plusieurs formes corporelles; mais quoique, comme l'air, il passe à travers une multitude d'êtres, il demeure toujours lui-même, parce qu'il n'a point de qualité sujette au changement. A la fin du dernier calpa (ou âge divin), il y eut une destruction générale occasionnée par le sommeil, de Brahma (la première personne de la trinité indienne, ou le créateur).

(…)

II n'est pas besoin ici de commentaire. Qui ne reconnaît Sem ou Schem dans Serma, Charma dans Cham, Japhet dans Yapéti? Dans les deux premiers noms, une lettre intercalée met seule' quelque différence. La final n'est qu'une terminaison indienne. Le troisième est absolument identique; car, en hébreu même, avec les mêmes lettres, on peut prononcer indifféremment Yaphet ou Yapet. Le partage des terres est on ne peut plus exact. La postérité de Sem s'étendit principalement dans l'Asie méridionale; celle de Japhet, dans l'Asie septentrionale et dans l'Europe.
Des savants, justement célèbres, ont cru reconnaître encore Noé dans le fabuleux Chronos ou Saturne des Grecs et des Romains, (2). Il est dit, dans Homère et dans Platon, que Chronos et sa femme, avec toute leur postérité, sont nés de l'océan Noé et sa femme, avec toute leur postérité, sont sortis du déluge. Dans les hymnes d'Orphée, Chronos et sa femme sont appelés le père et la mère de tous les mortels et immortels Noé et sa femme le sont, et des hommes qui ont encore à subir la mort, et de ceux qui sont déjà parvenus à l'immortalité. Noé était un homme juste au milieu d'une génération perverse qu'il cherchait à ramener au bien Chronos
était un roi juste au milieu d'une génération sauvage qu'il cherchait à civiliser. Après le déluge, Noé régna quelque temps, comme père, sur tout le genre humain; la terre, non encore divisée par héritages, était tout entière à tous; il n'y avait encore nul esclave autant il en est dit du règne de Saturne.
Au temps de Noé, toute la terre n'avait qu'une langue au temps de Saturne, les animaux mêmes, dit la fable, parlaient la même langue que les hommes. Saturne a pour femme la Terre ou Rhea dans le texte hébreu, Noé est appelé au pied de la lettre, l'homme ou le mari de la Terre, pour agriculteur, tandis que Cain en est appelé le serviteur ou l'esclave. Noé fut le premier, dans,le monde nouveau à cultiver la terre et à planter une vigne Saturne est dit le premier 'avoir enseigné l'agriculture et l'usage du vin. Sur l'ancienne monnaie des Romains, le symbole de Saturne était un navire le symbole de Noé est l'arche. Saturne est dit avoir dévoré tous ses enfants à l'exception de trois fils qui se partagèrent le globe. Noé, prophète et patriarche du monde antérieur, est dit l'avoir condamné à périr (IIeb., 11, 7), parce qu'il en prédit la destruction il n'en sauva que trois fils, qui se partagèrent le globe. Un de ces trois le vit dans un état peu décent et s'en railla un des trois fils de Saturne le vit dans un état pareil, puisqu'il le mutila. Ce fils de Noé s'appelait Cham ou Ham, et fut le père des Africains ce fils de Saturne s'appelait Hammon pu Ammon en Egypte et en Afrique. Certes, voilà des rapports assez singuliers pour mériter l'attention. Si, du reste, les descendants de Cham ne nous onrent point une histoire aussi expresse et aussi détaillée du déluge que les descendants de Sem, en voici peut-être la raison cette histoire ne faisait pas beaucoup d'honneur à leur ancêtre. Cependant la croyance d'un déluge universel était si bien établie chez les Egyptiens, que leurs prêtres disaient à Solon. Qu’après certaines périodes de temps, une inondation envoyée du ciel changea la face de la terre que le genre humain avait péri plusieurs fois de différentes manières, et que c'était pour cela que, la nouvelle race des hommes manquait de monuments
et de connaissances des temps passés (Plato in Tim.).