Connaissances de Moïse et des Hébreux sur la Terre habitée

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Malte-Brun, Conrad “Connaissances de Moïse et des Hébreux sur la Terre habitée”, RelRace, item créé par Mathilde Plais, dernier accès le 28 Mar. 2024.
Contributeur Mathilde Plais
Sujet La répartition de l'humanité après le déluge
Description Le géographe Malte-Brun, dans ses Connaissances de Moïse et des Hébreux sur la Terre habitée (tome 1), explique la répartition des peuple sur terre, à partir du déluge mosaïque, entre les trois fils de Noé : Sem, Japhet et Cham.
Auteur Conrad Malte-Brun
Éditeur Paris : Administration des publications populaires
Langue fr

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Toutes les nations de l'Asie occidentale, que Moïse a connues, sont ramenées à trois familles : l'une, celle de Sem, comprend des peuples pasteurs, habitant sous des tentes ; l'autre se compose des nations industrieuses et commerçantes, dont Cham est la souche ; enfin, au nord des autres, la race de Japhet établit ses belliqueux empires.
Sur un de ces points, l'antique tradition des nations les plus éclairées, coïncide d'une manière frappante avec les récits de Moïse. Cet auteur et plusieurs autres écrivains hébreux disent positivement que les contrées riveraines de la Méditerranée, les îles des Gentils furent peuplées par les descendants de Japhet. Or les Grecs et les Romains font descendre tout le genre humain, c'est-à-dire, toutes les nations à eux connues, de Japetus, dont le nom ne diffère pas essentiellement de celui de Japhet.
Encouragés par cet accord surprenant, des érudits ont cherché à fixer le nom et le siège primitif de chaque peuple descendant de Japhet, de Sem, et de Cham ; mais comment supposer que des noms de familles aient été conservés à travers les vicissitudes des siècles ?
Comment reconnaître les demeures ou les traces de nations errantes qui n'élevaient aucun monument?
On reconnaît l'Ion ou Iaon des Grecs, père des Ioniens, dans Iavan, et Madai désigne vraisemblablement les Mèdes. lf~y a d'autres noms d'une interprétation plus difficile ; tels sont ceux de Gomer, de Magog, et autres : ils paraissent désigner des peuples voisins du Pont-Euxin et du Caucase. Cette mer inhospitalière, ces montagnes redoutables semblent être les limites de la géographie mosaïque du côté du nord ; Cependant Thiras pourrait bien avoir du rapport avec les Thraces, si voisins de l'Asie.
Un des descendants de Japhet, par Javan, est nommé Tharschich, et serait, selon Josephe, la souche des Ciliciens, dont Tarsus était la ville principale ; mais il est impossible de voir dans ce Tharsis de la
Genèse, le pays lointain dont les richesses furent l'objet des voyages entrepris en société par les Hébreux et les Phéniciens, du temps de Salomon. Saint Jérôme a observé, et notre savant Gosselin a complètement prouvé que le mot Tharschich, dans les passages où il est question des voyages que les Phéniciens et les Hébreux faisaient en partant du port d'Eziongeber sur la mer Rouge, ne dénote autre chose que la grande mer. Quant à l'Ophir d'où les flottes de Salomon rapportaient les trésors de l'Indostan et l'Ophir dont parle Moïse, c'étaient deux contrées absolument différentes, comme la différence orthographique des deux noms hébraïques aurait dû le faire voir, d'autant plus que, dans la version des Septante, l'Ophir de Moïse est rendu par Oupheir et celui des temps de Salomon par Soopheira. Le premier était sans doute une contrée de l'Arabie heureuse ; mais l'autre, la patrie des
pierres-gemmes, des bois odoriférants, de l'or et de l'étain, semble devoir être cherché dans les Indes orientales.
Passons maintenant à l'examen des pays désignés comme le séjour des Sémites ou descendants de Sem. Les Hébreux étaient à même de bien les connaître, puisque c'étaient leurs frères et leurs voisins. Aussi, cette partie de la géographie hébraïque est bien précieuse ; elle indique l'identité d'origine de presque tous les anciens peuples des bords de l'Euphrate, d'une partie de l'Asie-Mineure, de la Syrie et de l'Arabie, identité parfaitement constatée par la ressemblance de leurs langues ; car l'arabe , l'hébreu , l'araméen ou ancien syriaque ont autant de rapport entfeux que l'italien, l'espagnol et le français.

VElam, l'Elymaïs des Grecs , longtemps un royaume indépendant, l'Assur ou l'Assyrie et l'A ram, qui est la Syrie, rappellent incontestablement trois noms des fils de Sem; le dernier était connu d'Homère qui en a fait ses Arimi. Mais on ne s'accorde pas aussi bien sur Lud qui nous paratt être la nation des Lydiens, si puissante dans l'Asie-Mineure.
On dispute aussi pour savoir si les Chaldéens descendent d'Arphacsad, qui est la souche des Hébreux et de tant d'autres peuples sémitiques, et qui parait s'être d'abord établi dans l'Arménie et la Haute-Assyrie, où l'on trouve une province Arrapachitis. On a même cherché à retrouver les Chaldéens tantôt dans les Chalybes des Grecs, tantôt dans les Scythes qui firent une invasion dans l'Asie ; enfin on en a voulu faire une race indigène qui serait la souche des Arméniens et des Curdes.

C'est dans l'Asie occidentale que la géographie hébraïque, d'accord avec tous les auteurs profanes, indique les plus anciens empires que nous connaissions. Leurs immenses capitales, Babel ou Babylone, et Ninive ou Ninus, ont disparu; mais le souvenir des Assyriens et des Chaldéens est conservé par l'histoire des peuples qu'ils ont soumis.

Alors, plus encore qu'aujourd'hui, les ravages de la guerre changeaient l'état et les limites des pays qui devenaient la proie d'un conquérant. On amenait en captivité des- nations entières; on leur assignait de nouvelles demeures.
Au midi des empires de Ninive et de Babylone, plusieurs peuples, amis 'de la'liberté, changeaient de domicile au gré de leur humeur in-quiète. La géographie des siècles les plus reculés distingue déjà les
Edomites, connus des Grecs sous le nom dlduméens; les Madianites, très-anciennement adonnés au commerce , mais dont le nom disparaît bientôt; les Nabaioths ou Nabathéens des Grecs et des Romains, tribu principale parmi celles du nord-ouest de l'Arabie, qui font remonter leur origine à Ismaël ; beaucoup d'autres tribus arabes du centre et du midi, qui regardent comme leur souche, Joctan, et parmi lesquelles les Homérites établirent, dans l'Yemen, un empire longtemps heureux et puissant ; enfin, les célèbres Hébreux qui se disent, comme tous ces peuples, descendants de Sem, par Arphacsad, assertion que la ressemblance des langues élève au rang d'une vérité historique.

Moïse connaissait même les noms de Hadramauth ou Hazarmaveth, et de Chavilah ou Chaulan, deux contrées d'Arabie encore ainsi nommées de nos jours. Semblables aux Bédouins modernes, la plupart des anciens Arabes, et les Hébreux eux-mêmes, menaient une vie errante ; rois de leurs déserts, au milieu de leur heureuse famille et de leurs troupeaux innombrables, ces patriarches n'avaient rien à envier aux monarques de la terre. Il y avait aussi des tribus agricoles; les Homérites élevèrent des digues. pour retenir les torrents des montagnes, et des aqueducs pour en distribuer les eaux dans les champs. D'autres tribus ayant dompté le chameau, employèrent ce navire du désert à
transporter en Syrie, à Babylone et en Egypte, les parfums et les pierres fines de l'Arabie heureuse, et plus tard, les produits de l'Inde, que le commerce maritime amenait sur les côtes de l'Arabie.
La troisième race d'hommes connue à Moïse et aux Hébreux, est représentée comme la postérité de Cham ou Ham, troisième fils de Noë, et les malédictions dont tous les écrivains hébreux la chargent, semblent prouver qu'elle a dû différer des peuples sémitiques, soit par sa constitution physique, soit par sa langue et ses mœurs. Le nom même de Ham ou Cham signifie en hébreu ou la couleur foncée de ces peuples, ou la chaleur du climat sous lequel ils habitent. Ce nom se retrouve évidemment dans celui de Cham ou Chamia, donné à l'Egypte par les indigènes dans les temps anciens et modernes. Il est également incontestable que le nom d'un des fils de Ham, Mizr (au pluriel Mizraïm), le même que chez les Arabes et les Turcs, désigne encore aujourd'hui l'Egypte, principalement le Delta. Ce point de la géographie mosaïque semble donc très-clair, et s'il nous est impossible de retrouver d'une manière certaine tous les peuples indiqués comme descendants de Mizraïm, il nous est pourtant permis de croire que les Hébreux connaissaient toute l'Egypte et une partie des côtes africaines du golfe arabique. On ne peut guère non plus douter que le nom de IÍusch, donné à un des fils de Ham, ne désigne les peuples de l'Arabie méridionale et orientale, où les géographes grecs et romains connurent les villes ou peuples de Saba, de Sabbatha, de Rhegma, et autres que les auteurs hébreux donnent à quelques-uns des descendants de Kusch.

La géographie des Hébreux présente des lumières bien plus sûres quand elle nous retrace l'ancien état de la Palestine. Cette contrée, théâtre. d'une des plus anciennes révolutions physiques consacrées par l'histoire, de celle qui fit écrouler Sodôme et Gomorrhe dans les abîmes de la mer Morte, devait le nom sous lequel les Grecs la connurent, aux Philistins, peuple sorti de l'Egypte et qui avait d'abord cherché un asyle en Chypre. La Palestine était encore habitée par une foule d'autres tribus qui toutes descendaient de Chanaim, fils de Ham. Cette circonstance pourrait servir à expliquer pourquoi les Phéniciens qui parlaient la langue cananéenne, trouvèrent tant de facilité à se répandre en Afrique. Le commerce florissant de Tyr et de Sidon étonne moins lorsqu'on se rappelle combien les auteurs hébreux nomment de villes murées dans la Palestine et dans la Syrie. Damas, Hémath, Hébron, Jéricho existaient longtemps avant Athènes ; Sidon est déjà célébrée par Homère, et la superbe Tyr, la reine des mers, nommée par les écrivains hébreux du tems de David ( A. M. 950), a dû préparer pendant plusieurs siècles cette grandeur commerciale, dont le prophète Ezéchiel traça le brillant tableau à une époque où Rome, sous le premier des Tarquins (A. M. 3,385), commençait à changer ses chaumières en maisons. Les cèdres du Liban, les chênes de la Bazanée, les bois les plus précieux de Chittim (Citium en Chypre ) servaient à la construction des flottes de Tyr ; son port - était le marché de l'Asie, de l'Egypte et de la Grèce ; les caravanes de l'Arabie heureuse, venues d'Aden, de Cane et d'autres villes, y apportaient les pierres-gemmes, les épiceries et les étoffes de l'Inde ; l'Egyptien y vendait ses toiles fines ; Damas y envoyait ses laines d'une blancheur éblouissanie; l'argent, l'étain, le plomb, tous les métaux de l'Asie- mineure y arrivaient par les vaisseaux de Tarschisch qui peut désigner ici Tarsus en Cilicie; les Ioniens y achetaient des esclaves et probablement toute sorte d'ouvrages de manufacture.