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J’ai souvent entendu prétendre que l’esclavage était reconnu dans l’Ancien Testament. C’est là une thèse étrange qui montre, de la part de ses défenseurs, une ignorance bien profonde du régime patriarcale. L’état de servitude, chez les Juifs, étaient très différent de l’esclavage infâme que nous avons à combattre aujourd’hui. Ne lisons-nous pas, dans le chapitre 21e, verset 16 de l’Exode, que Moïse, commandant les dix commandements que Dieu lui avait remis sur le Sinaï, déclarait que : « Celui qui vole un homme et le vend, ou qui tient en servitude un homme volé, sera mis à mort » ?
Dans une assemblée aussi importante que celle-ci, je crois qu’il était utile que cette erreur historique reçût un solennel démenti.
Un des orateurs qui m’ont précédé vous a signalé quel a été le point de départ de la lutte contre l’esclavage. Permettez-moi de revenir sur cette question et de vous montrer comment le Christ, en mourant, annula la malédiction adressée par Noé à la race de Cham, l’annula en voulant que ce soit un pauvre esclave noir qui vint partager le poids de sa croix et le soulager dans ses souffrances.
Ceux qui n’ont ni vécu en Orient, ni visité la Syrie et la Terre Sainte, ne peuvent avoir qu’une idée bien inexacte de ce qui s’est produit le jour où le fils de Dieu mourut ! Moi, qui ai voyagé et vécu dans ces pays où l’atmosphère et les mœurs sont encore celles d’il y a deux mille ans, j’ai souvent été tenté d’affirmer que ceux qui ne connaissent pas l’Orient ne peuvent interpréter avec vérité les textes de la Bible. […]
J’ai pu me représenter exactement le Christ, fatigué et couvert de blessures, marchant péniblement, suivi par une populace furieuse et cruelle comme il n’y en a qu’en Orient, et qui n’épargnait certes pas à celui qui était l’objet de sa haine les injures et les insultes dont nous, Occidentaux, n’avons aucune idée. […]
A ce moment, un certain Simon de Cyrène passa ; il revenait des champs. On le força brutalement d’aider le Christ à traîner sa croix, et la funèbre procession reprit sa marche. Qui donc était ce Simon d Cyrène ? C’était, j’en ai la conviction, un noir et un esclave. C’était un homme méprisé par les Juifs et les Romains, puisque la foule pouvait l’insulter impunément et disposer librement de sa liberté. Il n’était pas Juif, sinon il eût logé, pendant les fêtes de Pâques, dans les murs de la cité sainte. Il n’était pas romain, sinon sa seule déclaration : Civis Romanus Sum ! eût suffit pour lui obtenir la protection des soldats romains. Il n’était pas riche, sinon ses vêtements et sa suite auraient montré qu’il était capable d’acheter la justice, s’il n’avait pu l’obtenir autrement.
Simon venait d’Afrique. Comme l’indique son nom, il était de Cyrène. C’était un esclave noir, un de ceux, sans doute, dont la vie, le travail et la famille étaient la propriété des Empereurs et des Sénateurs. Voilà quelle est ma conviction, dont je trouve dans l’Ecriture Sainte elle-même. N’y lisons-nous pas, en effet, que Simon était le père d’Alexandre et de Rufus, tous deux travailleurs libres ?
Travailleurs libres ! Pourquoi l’Ecriture noterait-elle ce fait, si ce n’est pour faire ressortir la différence de situation sociale qui existait entre le père et le fils ? Ensuite, dans les Actes des Apôtres, parmi les Prophètes et les Docteurs, membres de l’Eglise d’Antioche, nous voyons figurer : Simon, appelé Niger, et Lucius de Cyrène. Cette juxtaposition de mots nous autorise à croire que Simon, le nègre, et Simon, qui aida le Christ à porter sa croix, ne forment qu’un seul et même homme.
Ensuite Rufus, qui était le nom du second fils de Simon, est le nom qu’on donne aux nègres roux qui sont très nombreux dans la partie septentrionale de l’Afrique.
Je crois avoir suffisamment démontré la véracité du fait que Simon de Cyrène était un pauvre esclave noir.