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Commentaire du livre de la Genèse, Chap. 9
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Or, Noé, qui cultivait la terre, planta une vigne. Buvant de son vin, il s'enivra et il se mit à nu dans sa tente. Cham, père de Canaan, voyant son père nu, alla le rapporter à ses deux frères, qui étaient dehors
Voici bien une sotte historiette, et inutile [apparemment], à la comparer avec les faits et gestes de cet homme qui fut si remarquable tout au long d'un si grand nombre d'années. Il y avait dans sa vie de quoi édifier... Mais cette histoire semble propre à faire scandale et à donner sa caution aux ivrognes...
Ceux qui connaissent notre enseignement savent cependant ce que nous pensons du Saint-Esprit et de son intention. Il veut en effet que les croyants, abattus qu'ils sont par la connaissance de leur infirmité, soient consolés par ce scandale même qu'est le rappel des chutes des saints patriarches. Nous y trouvons une attestation irréfutable de notre faiblesse et, à travers une humble confession, nous nous abaissons à demander notre pardon, et aussi à l'espérer. C'est ainsi que nous pouvons bien comprendre — et comprendre théologiquement — pourquoi le Saint-Esprit rappelle la faute insigne d'un si grand personnage, tout en laissant dans l'ombre d'autres faits considérables.
Mais ceux qui cherchent des excuses au patriarche repoussent délibérément la consolation que le Saint-Esprit a jugé nécessaire aux Eglises : savoir qu'il arrive aux saints les plus grands de trébucher parfois.
En effet, si cette chute peut paraître minime, elle n'en est pas moins un grand scandale. Cham n'est pas le seul à broncher, mais ses frères et, peut-être aussi, les femmes... [Quant à Cham], ce n'est pas seulement la scène qui l'offusque et qui le fait trébucher, c'est la véritable pierre d'achoppement et le fond même de la chose: l'ébriété de Noé désarçonne Cham au point qu'il juge son père et qu'il se réjouit de son péché.
Car si nous entendons parler avec quelque exactitude du péché de Cham, il faut en revenir au péché originel et considérer la perversité du cœur. Le fils ne se fût jamais moqué de son père terrassé par le vin s'il n'avait tout d'abord chassé de son cœur le respect et l'opinion que le commandement de Dieu doit inspirer aux enfants à l'égard de leurs parents... C'est donc à la source même de ce péché qu'il faut remonter et c'est alors que s'étale l'horreur de ce qui arrive. Personne ne devient adultère, personne ne commet de meurtre sans avoir auparavant chassé de son cœur la crainte de Dieu. L'élève ne s'insurge pas contre son maître sans avoir auparavant abandonné tout respect à son égard...
Ainsi Cham fut sage et saint à ses propres yeux: il pensa, à part lui, que son père n'en était pas à son. premier méfait ni à sa première folie. Ce n'est pas seulement le mépris des parents que dénoncent de telles pensées mais encore le mépris du commandement divin. Il ne reste plus à ce méchant fils qu'à s'emparer d'un fait qui lui serve à démontrer la folie de son père. Il n'agit donc pas comme un enfant qui rirait de son père ivre et qui appellerait ses frères pour qu'ils jouissent avec lui d'une scène divertissante. Il veut qu'un fait soit clairement attesté: c'est que Dieu a délaissé son père et qu'il l'a adopté, lui, Cham. Il se complaît donc à rendre notoire le péché de son père...
Telle est bien la perversité caractéristique du péché originel: il fait des hommes arrogants, orgueilleux et démesurément sages, alors que, selon l'exhortation de Paul, «il convient d'avoir des sentiments modestes... selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun » h Mais le péché originel ne permet pas à Cham d'en rester là : il passe donc sa propre mesure et il se mêle de juger son père ...
De tels exemples sont pour nous un avertissement et ils nous instruisent du combat qui dure depuis les origines du monde entre l'Eglise et Satan... Cette histoire de Cham ne doit donc pas être traitée comme une affaire puérile dérisoire, mais il faut y voir la haine amère de Satan, qui enflamme ses membres contre la véritable Eglise et, surtout, contre ceux qui ont la charge du ministère...
Le premier fruit de cette histoire pour le croyant consiste dans la consolation qu'elle lui apporte dans ses infirmités, en lui montrant que par la faute d'une même infirmité, il est arrivé parfois à de très saints personnages de trébucher honteusement.
L'autre fruit, c'est que nous soyons conscients du terrible jugement de Dieu et que, sensibles au danger qui guette Cham, nous ne soyons pas prompts à juger, quand bien même nous verrions que l'autorité politique, ou celle de l'Eglise, ou celle de la famille — les parents — se trompe ou fait un faux pas. Qui sait pourquoi Dieu agit ainsi? Même si de telles chutes ne doivent pas être excusées, nous voyons pourtant qu'elles sont utiles pour la consolation des croyants. Elles nous apprennent que Dieu peut supporter les erreurs et les chutes des siens... afin que nous mettions notre espérance en sa miséricorde et que nous ne perdions pas courage.
Mais ce qui est remède pour les croyants n'est que poison pour les impies. Car ceux-ci ne cherchent pas à être enseignés et consolés par Dieu : ils sont donc indignes de voir la gloire de Dieu en la personne des saints. Car ils ne voient que ce qui peut les ébranler et les prendre au piège, à telle enseigne qu'ils tombent et que, livrés à eux-mêmes, ils finissent par périr.
Gardons ainsi le respect des anciens. S'ils défaillent, que l'on ne se laisse pas abattre et que l'on s'assure que Dieu est magnifique dans la vie de ses saints.
Les deux autres frères, Sem et Japheth, n'imitent pas l'impiété de Cham: ils gardent le respect qu'ils doivent à Dieu et à leur père. Ils voient bien le scandale: l'ébriété de leur père, qui, comme un enfant, n'éprouve pas de honte à se montrer nu. Ils savent que tout cela est indigne de celui qui dirige l'Eglise et la cité. Mais ils ne voudraient pas, pour autant, perdre la déférence due à leur père. Ils glissent donc sur ce scandale, ils voilent cette faiblesse, pour ne pas dire mieux, en s'approchant de leur père à reculons et en le couvrant d'un vêtement. Ils n'eussent pas manifesté au-dehors un tel respect s'ils n'avaient eu, en leur cœur, une vraie connaissance de Dieu et s'ils n'avaient jugé que leur père était prêtre et roi de droit divin .
Imitons leur sagesse. Car les péchés des autres ne nous confèrent pas le droit de les juger. «Qu'ils soient debout ou qu'ils tombent, cela regarde leur Seigneur. » Au surplus, si l'effondrement des autres nous déconcerte (car beaucoup de choses ne doivent ni ne peuvent être excusées), veillons avec d'autant plus de soin à ce que rien de tel ne nous arrive, et laissons là tout jugement orgueilleux et prétentieux. Car le vice du péché originel est un vouloir démesurément prétentieux et c'est dans les fautes d'autrui qu'il cherche sa réputation de justice.
Pour notre part, nous sommes à coup sûr de faibles pécheurs et, nous qui sommes des hommes [comme les autres], nous confessons franchement que notre vie n'est pas toujours exempte de scandales. Mais bien qu'ayant ce point de commun avec nos adversaires, nous assumons quand même notre mission, en plantant avec zèle la Parole de Dieu, en enseignant les Eglises, en corrigeant ce qui est mauvais, en exhortant au bien, en consolant les infirmes, en reprenant les opiniâtres et, d'ailleurs, en faisant tout ce qu'exige le ministère qui nous a été confié par Dieu...
Ch. 9, v. 23-25 Mais Sem et Japhet mirent un manteau sur leurs épaules et, entrant à reculons, ils recouvrirent la nudité de leur père, le visage tourné, pour ne pas la voir. Et Noé se réveilla de son ivresse et il apprit ce que lui avait fait son plus jeune fils. Et il dit: Maudit soit Canaan ! qu'il soit esclave des esclaves parmi ses frères
Voilà bien un exemple remarquable de respect filial. Les deux fils auraient pu s'approcher de leur père... sans aller à reculons. Quel serait le péché de celui qui, par hasard, rencontrerait un homme nu et le verrait ainsi sans l'avoir voulu? Mais ils n'agissent pas ainsi. Ayant appris de leur frère orgueilleux et hilare ce qui est arrivé à leur père ils... vont à reculons (chose admirable!)...
Qui ne reconnaît là un cœur attentif à la volonté et à la Parole de Dieu et respectueux de la dignité paternelle ... qui ne saurait être tournée en dérision par les enfants.
Dieu montre donc qu'il tient cette obéissance pour un sacrifice agréable et pour le plus grand hommage, alors qu'il exècre Cham, non pas d'avoir vu ce qu'il a vu — il eût pu voir cette scène par surprise — mais il eût pu couvrir cette faute, il eût pu se taire et ne pas montrer qu'il se délectait du péché de son père. Mais au mépris de Dieu, de sa Parole et de l'ordre divinement institué, il ne se contenta pas de ne pas recouvrir son père de son vêtement, mais il en fit un divertissement et le laissa nu...
Moïse propose donc l'histoire de Cham comme un redoutable exemple: il faut bien l'inculquer aux jeunes dans l'Eglise pour qu'ils apprennent à respecter les anciens, les magistrats, les parents. Car ce n'est ni pour Noé, ni pour Cham que cette histoire a été écrite mais pour la postérité et pour nous tous...
Et c'est surtout la sanction d'une si grande impiété que le texte s'attache à nous montrer. Car si Noé était un vieillard stupide, délirant et ridicule aux yeux de son fils, le voici qui se montre maintenant dans sa grandeur prophétique, annonciateur pour ses fils des événements à venir que Dieu lui révèle. La parole de Paul est vraie: « La force s'accomplit dans la faiblesse. » Car la certitude qui anime ici les paroles de Noé prouve bien qu'il est rempli du Saint-Esprit alors que son fils le croyait entièrement abandonné...
Ch. 9, v. 26 Il dit encore : Béni soit le Seigneur, Dieu de Sem, et que Canaan soit pour lui un esclave
Voilà deux prophéties insignes: il faut les considérer attentivement. Car elles concernent aussi notre temps, bien que les Juifs les aient singulièrement dénaturées. Ils voient que Cham est maudit trois fois et ils tournent cette déclaration à leur avantage, se promettant à eux-mêmes un empire temporel2.
Mais la raison de cette malédiction répétée est différente: c'est que Dieu ne peut pas oublier une si grande irrévérence envers les parents et ne permet pas qu'elle demeure impunie. Car il veut que les parents et les autorités soient honorés et que l'on témoigne de la considération aux aînés. Il ordonne ainsi que l'on se lève devant les cheveux blancs . Et des ministres de l'Eglise il dit: « Celui qui vous méprise me méprise.»
La désobéissance à l'égard des parents est le signe manifeste d'une malédiction et d'une calamité imminentes. Car, aux origines, quand l'on se mit à rire des patriarches et à mépriser leur autorité, le déluge n'allait pas tarder. Lorsqu'en Juda, à ce que dit Esaïe, le jeune homme s'emporta contre le vieillard, Jérusalem tomba et Juda s'effondra. Cette corruption des mœurs est le présage assuré d'un malheur à venir. C'est donc avec raison que nous craignons pour l'Allemagne devant un si grand relâchement de toute discipline.
Il est une règle qu'il convient de relever ici: l'expérience nous l'enseigne ainsi que les saintes Ecritures. C'est que Dieu diffère l'exécution des châtiments dont il menace. C'est pourquoi des gens rient de ses paroles et que d'autres l'accusent de mensonge 5... Si Cham avait ajouté foi à ce qu'il entendait dire à son père, il eût cherché refuge en la miséricorde [de Dieu] et repoussé l'idée même de la faute. Mais il ne fait ni ceci ni cela: il s'éloigne orgueilleusement de son père et gagne Babylone où, avec ses descendants, il entreprend de construire une ville et une tour et se rend le maître de toute l'Asie-Majeure.
Comment expliquer une telle tranquillité? Il n'y a qu'une raison: les prophéties divines ne sont claires que pour la foi, elles ne s'imposent pas aux sens \ on ne les saisit pas par une expérience , qu'il s'agisse de promesses ou de menaces. C'est donc toujours l'éventualité contraire que la chair tient pour vraie. Cham est maudit mais il se taille de grands domaines. Sem et Japheth sont bénis, mais en comparaison de Cham ils ne sont que des mendiants, eux et leur postérité. Qu'en est-il, alors, de cette prédiction et de sa vérité? Je réponds... que cette prédiction ne peut être saisie par les sens : elle n'est intelligible que pour la foi. Dieu diffère tantôt les châtiments, tantôt les récompenses : il faut donc persévérer. « Celui qui persévère jusqu'à la fin sera sauvé...»
La vie des croyants est donc tout entière dans la foi et dans l'espérance...
... L'Esprit dit de Cham: « Qu'il soit esclave des esclaves», c'est-à-dire le dernier des esclaves. Mais l'histoire le montre seigneur et maître en Canaan, alors qu'Abraham, Isaac et Jacob et leurs descendants détiennent la bénédiction mais qu'ils séjournent parmi les Cananéens comme des étrangers. Et combien misérable la condition servile d'Israël chez les Egyptiens, ces descendants de Cham!... Si l'accomplissement de la promesse est différé, c'est afin que les impies mettent le comble à leur mesure et afin qu'on ne puisse pas reprocher à Dieu de ne pas donner aux hommes le temps de se repentir. Lorsque les croyants sont accablés par les impies et qu'ils sont asservis à ces hommes qui pourtant sont les vrais esclaves, c'est pour l'accroissement de leur foi et de leur amour pour Dieu, afin que formés par de nombreuses tribulations, ils obtiennent enfin ce qui est promis. Car lorsque le temps devait être accompli la postérité de Sem devait nécessairement l'emporter sur celle de Cham, quelle que fût la puissance de cette dernière. C'est alors que s'accomplit la malédiction que Cham et sa postérité avaient si longtemps traitée avec un superbe dédain... Telle est la marche du droit divin: les croyants régnent mais par la foi, la bénédiction spirituelle leur suffit car elle leur assure un Dieu propice et la ferme espérance du royaume des cieux. Dans cette attente, ils aban-donnent aux impies la possession des royaumes de ce monde, jusqu'au moment où Dieu dispersera ces royaumes et, par Christ, nous établira héritiers de toutes choses.
... La prophétie montre donc... que même si elle devait dominer un certain temps, la lignée de Cham devait finalement périr et, par-dessus tout, être privée de la bénédiction spirituelle. Il faut comprendre cette privation comme je l'ai précisé plus haut, quand il s'agissait des descendants de Caïn. Je ne pense pas que tous les hommes de ces lignées soient damnés sans exception, car ceux qui se sont convertis à la foi sont sauvés. Ce n'est pas à cause d'une promesse précise qui leur aurait été faite, mais, si je puis dire, par une grâce vagabonde. Ainsi les Gabaonites, ainsi Job, ainsi Naaman le Syrien, ainsi les Ninivites, ainsi la veuve de Sarepta et ainsi d'autres encore d'entre les païens : ils furent sauvés, et ce n'était pas en vertu de la promesse mais par cette grâce vagabonde.
Mais pourquoi n'est-il pas dit: «Béni soit Sem» mais: «Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem... » Je réponds que c'est à cause de l'excellence même de la bénédiction, car il n'est pas question ici de bénédiction maté-rielle mais de la bénédiction qui devait venir par le Descendant béni. [Noé] la voit si grande que les paroles ne peuvent pas la décrire. Et c'est ainsi que ses paroles se résolvent en actions de grâces «Dieu soit béni, dit-il, lui qui est le Dieu de Sem.» Il pourrait tout aussi bien dire: Il n'est pas nécessaire que j'étende ma bénédiction à Sem car il est déjà béni d'une bénédiction spirituelle antérieure. Il est déjà un enfant de Dieu et c'est de lui que l'Eglise se répandra comme elle s'est propagée à partir de Seth avant le déluge. Le sens est admirable; Dieu s'unit avec Sem, son enfant, et il se lie à lui...
Ch. 9, v. 27 Dieu parlera avec bienveillance à Japhet et celui-ci habitera sous les tentes de Sem ; mais Canaan sera leur esclave
... Le langage n'est plus le même maintenant qu'il est question de Japhet. Il s'agit de montrer le mystère considérable dont traitent l'apôtre Paul et Christ: le salut vient des Juifs \ et, cependant, les païens aussi sont faits participants de ce salut. Bien que Sem soit seul la véritable racine et la souche, les païens sont greffés sur cette souche comme un rameau étranger qui participe à la sève de l'arbre.
Noé voit cela dans la lumière de l'Esprit, et en des termes à la fois voilés et précis, il prédit que c'est de la famille de Sem que le règne de Christ se répandra dans le monde...
Ici sont donc dépeintes l'Eglise des nations et celle des Juifs. Cham est réprouvé et il n'est pas admis à la bénédiction spirituelle du Descendant, si ce n'est dans la mesure où le fera la grâce vagabonde. Mais pour Japhet, bien qu'il n'ait pas, comme Sem, la promesse du Descendant, il y a l'espérance qu'il sera un jour introduit dans la communauté de l'Eglise. Ainsi, nous les nations, les fils de Japheth, nous n'avons pas de promesse qui nous eût été faite à nous-mêmes, il est vrai, et nous sommes pourtant inclus dans la promesse faite aux Juifs; car nous sommes prédestinés à partager le sort des saints du peuple de Dieu. Tout cela n'a pas été dit à l'intention de Sem et pour Japhet [seulement], mais, bien plus, à cause de leurs descendants.
Nous voyons donc ici pourquoi les Juifs s'enorgueillissent tellement. Ils volent, en effet, que leur ancêtre Sem possède seul la promesse de la bénédiction éternelle ... Mais ils se trompent ensuite, en pensant que la promesse est liée à la succession du sang plutôt qu'à celle de la foi. Paul traite remarquablement de ce sujet: les fils d'Abraham, dit-il, ne sont pas ceux qui sont nés de la chair d'Abraham, mais ceux qui croient comme Abraham crut.
C'est bien ce que Moïse indique ici, sans le dire, dans ces paroles significatives: «Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem.» Il spécifie ainsi que la bénédiction ne se trouve que là où est le Dieu de Sem. Le Juif lui- même n'a donc part à cette promesse que s'il a le Dieu de Sem, c'est-à-dire seulement s'il croit. Et Japhet n'aura aucune part à la promesse s'il n'habite pas dans les tentes de Sem, c'est-à-dire, s'il n'est pas son compagnon de foi... La malédiction aussi ne concerne que ceux qui demeurent dans l'impiété de Cham. Comme ce n'est pas l'homme, Noé, qui parle ici de sa propre autorité mais qu'il dit ces choses par l'Esprit de Dieu, il ne s'agit pas de malédiction temporelle, mais de malédiction spirituelle et éternelle... non seulement devant le monde, mais davantage devant Dieu.
C'est ce que nous avons dit plus haut de la malédiction de Caïn. Car, tout bien considéré, les bénédictions matérielles de Caïn étaient plus grandes que celles de Seth. Ainsi, dans ce monde, Dieu veut que la malédiction des impies paraisse échoir à l'Eglise, et, en revanche, que les impies paraissent bénis. C'est Caïn qui, le premier, bâtit une ville: Hénoc, alors que Seth habite sous des tentes.
Cham, pour sa part, construisit la ville et la tour de Babel et sa domination s'étendait au loin, alors que Sem et Japheth vivaient pauvrement sous des tentes. Les faits nous montrent ainsi que les promesses et les malédictions divines ne doivent pas être entendues au sens matériel du terme, comme se rapportant à la vie présente mais qu'il faut les comprendre spirituellement. Accablés dans ce monde, les croyants sont pourtant les enfants de Dieu et ses héritiers pleinement assurés ...
Tout cela nous apprend à ne pas chercher notre cité ou un séjour assuré au cours de cette vie mais, au sein des vicissitudes de cette existence, à regarder à l'espérance de la vie éternelle promise par Christ. Ce n'est que là que se trouve le port où nous devons tendre, ramant et hissant les voiles comme des matelots vigilants et actifs au fort des tempêtes.
Que serait-ce, si le Turc soumettait la terre entière à son empire, ce qui, pourtant, n'arrivera jamais? Car, selon le prophète Daniel, Michel portera secours au peuple saint, c'est-à-dire à l'Eglise. Qu'est-ce encore si le pape s'approprie toutes les richesses du monde, ce qu'il s'est déjà efforcé de faire au cours de longs siècles? Echappera-t-il pour autant à la mort ou se ménagera-t-il une position sûre en ce monde? Qu'est-ce que leur prospérité matérielle et, davantage, pourquoi bronchons-nous sous le coup des malheurs et des dangers puisqu'ils sont exclus de la communauté des saints alors que, par [la grâce du] Fils de Dieu, nous jouirons des biens éternels ?
Mais il faut encore éclaircir ici un point d'interprétation. Les érudits se demandent en effet pourquoi tous les traducteurs disent: «Que Dieu accroisse Japheth», alors que le terme hébreu n'admet pas une telle traduction ... Ces discussions ont parfois une grande utilité et font apparaître le sens propre.
... La véritable origine du mot Japheth est Pathah, qui signifie persuader, séduire par des paroles amicales... II n'est pas nécessaire de multiplier les exemples car ce terme est fréquent et je crois bien que le grec cvév&co en est dérivé...
...Mais pourquoi tous ont-ils traduit: «Que le Seigneur accroisse Japheth», alors que le verbe n'est pas Pathach, qui signifie (effectivement) accroître., ouvrir, mais Patha(h)? Je pense qu'ils ont reculé devant l'absurdité, car il s'agit d'une promesse et, en traduisant: Que le Seigneur séduise Japheth, on avait un sens trop dur: une telle déclaration ressemble à une malédiction plus qu'à une bénédiction. Ils se sont donc repliés sur une solution plus acceptable, bien que ce fût au mépris de la lettre, et, comme la différence entre Pathach et Patha(h) est petite, ils comprirent [le texte] au gré de leur sentiment; ne s'agissait-il pas d'une promesse?
Mais il n'est pas nécessaire que nous dénaturions ainsi le texte en faisant violence à la lettre, ne serait-ce que parce que le verbe Pasah* comporte une signification tout à fait appropriée... Car il peut être compris en mauvaise comme en bonne part. Ce n'est donc pas une injure que d'appliquer ce terme à Dieu, comme on en voit un exemple au livre d'Osée, où le Seigneur dit: « C'est pourquoi je mepatheha: «Je la persuaderai — ou: je la séduirai par des paroles tendres — et je l'attirerai au désert, et je parlerai à son cœur.» ... Ainsi Dieu parlera tendrement à Japheth, il le séduira par des paroles persuasives, afin que de son côté, Japheth, en accord avec son nom, soit persuadé, amicalement invité et séduit.
On se demandera ce que tout cela veut dire. Pourquoi Japheth doit-il être séduit, persuadé, et cela par Dieu lui-même? A ce que je crois, la prophétie de Noé est motivée par le nom même de Japheth et de Sem. Il remercie Dieu d'avoir établi Sem comme la racine solide d'où naîtra Christ. Car le verbe Som signifie «poser», placer, établir. Pour Japheth, la prière [de Noé] est qu'il soit vraiment Japheth. Car, puisqu'il était l'aîné, celui à qui appartenait donc ordinairement le droit d'aînesse, son père demande que Dieu le persuade amicalement de ne pas envier cet honneur à son frère et de supporter sans sourciller que cette prérogative lui soit retirée pour être transmise à son frère. ... Toute la postérité de Japheth est concernée par cela et ainsi, bien que la promesse ne soit faite qu'à Sem, Dieu n'en exclut pas la postérité de Japheth mais, par l'Evangile, il lui parle avec amour afin qu'elle soit Japheth, elle aussi, et qu'elle soit persuadée par la voix de l'Evangile. Cette action persuasive est divine, c'est le Saint- Esprit qui l'exerce; ce n'est ni la chair, ni le monde ni Satan: elle est sainte et vivifiante.
Ainsi Japheth signifie ce que 1'on appelle un homme simple, qui croit sans peine, qui se laisse facilement convaincre de quelque chose, qui n'est pas contestateur opiniâtre, mais qui soumet son sentiment au Seigneur et acquiesce a sa Parole, qui reste [au rang de] disciple, qui n'entend pas décider en maitre des paroles et des actes de Dieu...
Ce vœu de Noé se rapporte donc à la publication de l'Evangile dans le monde entier. Sem est pour ainsi dire la souche, car Christ est né de sa postérité. C'est l'Eglise des Juifs, qui eurent les patriarches, les prophètes et les rois. Et pourtant Dieu montre ici à Noé, et pas à un autre, que les pauvres païens eux-mêmes habiteront sous les tentes de Sem, ce qui veut dire qu'ils seront associés à la possession des biens que le Fils de Dieu a apportés dans ce monde: le pardon des p6ches, le Saint-Esprit et la vie éternelle. II annonce clairement, en effet, qu'en harmonie avec son nom, Japheth entendra la douce parole de l'Evangile afin qu'il possède l'assurance qu'est cet Evangile même, bien qu'il ne soit pas comme Sem, qui a été établi pour être la racine d'où Christ naitrait.
Paul a été celui par qui cette prophétie a été accomplie. Car, par l'enseignement de l'Evangile, & lui tout seul, ou presque, il constitua une descendance a Japheth. Comme il le dit...: « De Jérusalem et des contrées voisines jusqu'en Illyrie, j'ai pleinement assure l'annonce de l'Evangile.» Car presque toute l'Asie, a l'exception des peuples orientaux, appartient avec l'Europe a la postérité de Japheth. Car les nations ne reçurent pas de Dieu, comme les Juifs, le règne et le sacerdoce, elles ne reçurent pas la loi ni la promesse: elles reçurent seulement de la miséricorde de Dieu la douce Parole de l'Evangile, l'assurance que le nom de Japheth même indique.
Les traducteurs n'ont pas reconnu cette signification propre... 3 et, cependant, ils ne se sont pas beaucoup éloignes du sens véritable. Car le verbe Hirhib [Rachab] qui signifie accroitre, signifie aussi consoler... Or la seule et véritable dilatation (ou accroissement), la seule consolation est la Parole de l'Evangile.
Ainsi s'accordent les significations, si l'on traduit convenablement. Mais le premier sens, celui de la persuasion, est le sens propre et véritable, qui nous apporte une grande lumière: ... [car] si la promesse n’appartient qu'à Sem, Japheth a une assurance et, comme Paul le dit, «tel l’olivier sauvage, il est greffé sur l'olivier pour avoir part à la sève de l'arbre franc. » Car dans l'Ecriture sainte, ce qui suit s'accorde avec ce qui précédé et ce que Dieu a promis aux temps de Noé il l'accomplit maintenant.
Cham signifie chaud, bouillant. Je pense que, par ce nom, le père exprimait le grand espoir qu'il concevait au sujet de ce dernier-né... Ainsi Eve triomphait à la naissance de Caïn: elle pensait qu'il serait le réparateur du mal survenu Mais il est le premier qui apporte un nouveau mal aux hommes puisqu'il tue son frère.
C'est ainsi que, dans ses desseins insaisissables, Dieu change les projets des saints eux-mêmes. Cham, que son père voyait déjà plus enflammé de zèle pour le bien de l'Eglise que ses deux frères, après qu’il fut devenu grand fut assurément bouillant, mais tout autrement. Il s'enflamma contre son père et contre Dieu, comme ses actes le montrent. Il porte un nom prophétique, bien que son père, en le donnant, ne l'eût pas entendu dans ce sens.
Voilà ce que Noé prophétisa au sujet de ses fils qui devaient remplir la terre. Si donc Dieu a voulu, dans sa miséricorde, que la Parole de l'Evangile resplendit en Allemagne, c'est un bienfait qui se rattache à la prophétie faite sur Japheth: aujourd'hui s'accomplit ce que Noé prédit alors Nous ne sommes pas de la descendance d'Abraham: nous habitons cependant sous les tentes de Sem et nous jouissons des promesses accomplies en Christ.
Ch. 9, v. 28-29
Noé vécut trois cent cinquante ans après le déluge. Et tout le temps qu'il vécut fut de neuf cent cinquante ans; puis il mourut
L'histoire montre que Noé mourut cinquante ans après la naissance d'Abraham. Profitant donc d'un si bon maître, Abraham put avancer quelque peu en fait de religion. On ne peut douter que, rempli du Saint- Esprit Noé s'attacha avec zèle et amour à son descendant, comme à l'unique héritier de la promesse faite sur Sem. Dans ce temps-là, la postérité de Cham prospéra et elle propagea l'idolâtrie dans les régions orientales. Abraham en fut témoin et il en fut déconcerté: mais il était garde par Noé, qu'il était le seul à admirer comme un vestige du monde des origines.
Oubliant la colère qui avait sévi lors du déluge, les autres se moquèrent du pieux vieillard, et surtout la postérité de Cham, orgueilleuse de ses richesses et de sa puissance. C'est elle qui s'en prit à Noé, le patriarche et à qui sa prospérité monta la tête au point qu'elle ne fit que rire de la malédiction annonciatrice de servitude, comme du songe d'un vieux fou