Tables des peuples : Construire une ethno-géographie sur des bases scripturaires
Babel raciale
Le récit de la Tour de Babel ne comporte que quelques versets au début du chapitre 11 de la Genèse mais compte, pourtant, parmi les plus représentés et commentés de tout le texte Biblique. Après le déluge, les hommes – dit le texte – se rendent dans la plaine de Shinar et y entreprennent la construction d’une tour dont le sommet doit atteindre le ciel. Dieu réprouvant les faits décide alors de confondre les langues pour éviter que les hommes ne s’entendent à nouveau pour de tels projets et les contraint à se disperser sur la surface de la terre. Ce texte a fait couler beaucoup d’encre et au XIXe siècle il apparaît de plus en plus utilisé pour défendre les modèles politiques de séparation raciale. Associé à l’idée que les unions mixtes entre descendants de Seth et descendants de Caïn ont causé le courroux de Dieu et le déluge, les théologiens du sud des Etats-Unis et ceux des républiques boers font de Nimrod, petit-fils de Cham, désigné par la Bible au chapitre 10 comme l’initiateur du projet, un « nègre » ayant pour ambition de métisser l’humanité. La réprobation divine leur permet d’élaborer une interprétation du texte selon laquelle le dessein divin était d’empêcher toute promiscuité des races. Paradoxalement peu usitée dans les Etats-Unis de la ségrégation, cette interprétation de l’épisode de la Tour de Babel est centrale dans la théologie de l’Apartheid et reste défendue par la NGK, l’Eglise réformée d’Afrique du Sud jusqu’aux années 1980.