Magie

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Denis Diderot D'Alembert “Magie”, RelRace, item créé par Mathilde Plais, dernier accès le 21 Nov. 2024.
Contributeur Mathilde Plais
Sujet Cham et la magie
Mots-clés
Description Entrée magie dans l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (tome 9).
Auteur Denis Diderot
D'Alembert
Éditeur Paris : Briasson, Le Breton, S. Faulche
Langue fr

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MAGIE, science ou art occulte qui apprend à faire des choses qui paraissent au-dessus du pouvoir humain.

La magie, considérée comme la science des premiers mages, ne fut autre chose que l'étude de la sagesse : pour lors elle se prenait en bonne part, mais il est rare que l'homme se renferme dans les bornes du vrai, il est trop simple pour lui. Il est presqu'impossible qu'un petit nombre de gens instruits, dans un siècle et dans un pays en proie à une crasse ignorance, ne succombent bien-tôt à la tentation de passer pour extraordinaires et plus qu'humains : ainsi les mages de Chaldée et de tout l'orient, ou plutôt leurs disciples (car c'est de ceux-ci que vient d'ordinaire la dépravation dans les idées), les mages, dis-je, s'attachèrent à l'astrologie, aux divinations, aux enchantements, aux maléfices ; et bientôt le terme de magie devint odieux, et ne servit plus dans la suite qu'à désigner une science également illusoire et méprisable : fille de l'ignorance et de l'orgueil, cette science a dû être des plus anciennes ; il serait difficîle de déterminer le temps de son origine, ayant pour objet d'alleger les peines de l'humanité, elle a pris naissance avec nos miseres. Comme c'est une science ténébreuse, elle est sur son trône dans les pays où règnent la barbarie et la grossiereté. Les Lapons, et en général les peuples sauvages cultivent la magie, et en font grand cas.

Pour faire un traité complet de magie, à la considérer dans le sens le plus étendu, c'est-à-dire dans tout ce qu'elle peut avoir de bon et de mauvais ; on devrait la distinguer en magie divine, magie naturelle et magie surnaturelle.

1°. La magie divine n'est autre chose que cette connaissance particulière des plans, des vues de la souveraine sagesse, que Dieu dans sa grâce revele aux saints hommes animés de son esprit, ce pouvoir surnaturel qu'il leur accorde de prédire l'avenir, de faire des miracles, et de lire, pour ainsi dire, dans le cœur de ceux à qui ils ont à faire. Il fut de tels dons, nous devons le croire ; si même la Philosophie ne s'en fait aucune idée juste, éclairée par la foi, elle les revère dans le silence. Mais en est-il encore ? je ne sai, et je croi qu'il est permis d'en douter. Il ne dépend pas de nous d'acquérir cette désirable magie ; elle ne vient ni du courant ni du voulant ; c'est un don de Dieu.

2°. Par la magie naturelle, on entend l'étude un peu approfondie de la nature, les admirables secrets qu'on y découvre ; les avantages inestimables que cette étude a apportés à l'humanité dans presque tous les arts et toutes les sciences ; Physique, Astronomie, Médecine, Agriculture, Navigation, Mécanique, je dirai même Eloquence ; car c'est à la connaissance de la nature et de l'esprit humain en particulier et des ressorts qui le remuent, que les grands maîtres sont redevables de l'impression qu'ils font sur leurs auditeurs, des passions qu'ils excitent chez eux, des larmes qu'ils leur arrachent, etc. &c. etc.

Cette magie très-louable en elle-même, fut poussée assez loin dans l'antiquité : il parait même par le feu grégeais, et quelques autres découvertes dont les auteurs nous parlent, qu'à divers égards les anciens nous ont surpassés dans cette espèce de magie ; mais les invasions des peuples du Nord lui firent éprouver les plus funestes révolutions, et la replongèrent dans cet affreux chaos dont les sciences et les beaux arts avaient eu tant de peine à sortir dans notre Europe.

Ainsi, bien des siècles après la sphère de verre d'Archimède la colombe de bois volante d'Architras, les oiseaux d'or de l'empereur Léon qui chantaient, les oiseaux d'airain de Boèce qui chantaient et qui volaient, les serpens de même matière qui sifflaient, etc. il fut un pays en Europe (mais ce n'était ni le siècle ni la patrie de Vaucanson) il fut, dis-je, un pays dans lequel on fut sur le point de bruler Brioché et ses marionnettes. Un cavalier français qui promenait et faisait voir dans les foires une jument qu'il avait eu l'habileté de dresser à répondre exactement à ses signes, comme nous en avons tant vus dans la suite, eut la douleur en Espagne de voir mettre à l'inquisition un animal qui faisait toute sa ressource, et eut assez de peine à se tirer lui-même d'affaire. On pourrait multiplier sans nombre les exemples de choses toutes naturelles, que l'ignorance a voulu criminaliser et faire passer pour les actes d'une magie noire et diabolique : à quoi ne furent pas exposés ceux qui les premiers osèrent parler d'antipodes et d'un nouveau monde ?

Mais nous reprenons insensiblement le dessus, et l'on peut dire qu'aux yeux mêmes de la multitude, les bornes de cette prétendue magie naturelle se rétrécissent tous les jours ; parce qu'éclairés du flambeau de la Philosophie, nous faisons tous les jours d'heureuses découvertes dans les secrets de la nature, et que de bons systèmes soutenus par une multitude de belles expériences annoncent à l'humanité de quoi elle peut être capable par elle-même et sans magie. Ainsi la boussole, les télescopes, les microscopes, etc. et de nos jours, les polypes, l'électricité ; dans la Chimie, dans la Mécanique et la Statique, les découvertes les plus belles et les plus utiles, vont immortaliser notre siècle ; et si l'Europe retombait jamais dans la barbarie dont elle est enfin sortie, nous passerons chez de barbares successeurs pour autant de magiciens.

3°. La magie surnaturelle est la magie proprement dite, cette magie noire qui se prend toujours en mauvaise part, que produisent l'orgueil, l'ignorance et le manque de Philosophie : c'est elle qu'Agrippa comprend sous les noms de caelestialis et ceremonialis ; elle n'a de science que le nom, et n'est autre chose que l'amas confus de principes obscurs, incertains et non démontrés, de pratiques la plupart arbitraires, puériles, et dont l'inéfficace se prouve par la nature des choses.

Agrippa aussi peu philosophe que magicien, entend par la magie qu'il appelle caelestialis, l'astrologie judiciaire qui attribue à des esprits une certaine domination sur les planètes, et aux planètes sur les hommes, et qui prétend que les diverses constellations influent sur les inclinations, le sort, la bonne ou mauvaise fortune des humains ; et sur ces faibles fondements bâtit un système ridicule, mais qui n'ose paraitre aujourd'hui que dans l'almanach de Liege et autres livres semblables ; tristes dépôts des matériaux qui servent à nourrir des préjugés et des erreurs populaires.

La magie ceremonialis, suivant Agrippa, est bien sans contredit ce qu'il y a de plus odieux dans ces vaines sciences : elle consiste dans l'invocation des démons, et s'arroge ensuite d'un pacte exprès ou tacite fait avec les puissances infernales, le prétendu pouvoir de nuire à leurs ennemis, de produire des effets mauvais et pernicieux, que ne sauraient éviter les malheureuses victimes de leur fureur.

Elle se partage en plusieurs branches, suivant ses divers objets et opérations ; la cabale, le sortilege, l'enchantement, l'évocation des morts ou des malins esprits ; la découverte des trésors cachés, des plus grands secrets ; la divination, le don de prophétie, celui de guérir par des pratiques mystérieuses les maladies les plus opiniâtres ; la fréquentation du sabbat, etc. De quels travers n'est pas capable l'esprit humain ! On a donné dans toutes ces réveries ; c'est le dernier effort de la Philosophie d'avoir enfin désabusé l'humanité de ces humiliantes chimères ; elle a eu à combattre la superstition, et même la Théologie qui ne fait que trop souvent cause commune avec elle. Mais enfin dans les pays où l'on sait penser, réfléchir et douter, le démon fait un petit rôle, et la magie diabolique reste sans estime et sans crédit.

Mais ne tirons pas vanité de notre façon de penser : nous y sommes venus un peu tard ; ouvrez les registres de la plus petite cour de Justice, vous y trouverez d'immenses cahiers de procédures contre les sorciers, les magiciens et les enchanteurs. Les seigneurs de juridictions se sont enrichis de leurs dépouilles, et la confiscation des biens appartenans aux prétendus sorciers a peut-être allumé plus d'un bucher ; du moins est-il vrai que souvent la passion a su tirer un grand parti de la crédulité du peuple, et faire regarder comme un sorcier et docteur en magie celui qu'elle voulait perdre, dans le temps même que suivant la judicieuse remarque d'Apulée accusé autrefois de magie ; ce crime, dit-il, n'est pas même cru par ceux qui en accusent les autres ; car si un homme était bien persuadé qu'un autre homme put le faire mourir par magie, il appréhenderait de l'irriter en l'accusant de ce crime abominable.

Le fameux maréchal d'Ancre, Léonora Galigaï son épouse, sont des exemples mémorables de ce que peut la funeste accusation d'un crime chimérique, fomentée par une passion secrète et poussée par la dangereuse intrigue de cour. Mais il est peu d'exemples dans ce genre mieux constatés que celui du célèbre Urbain Grandier curé et chanoine de Loudun, brulé vif comme magicien l'an 629. Qu'un philosophe ou seulement un ami de l'humanité souffre avec peine l'idée d'un malheureux immolé à la simplicité des uns et à la barbarie des autres ! Comment le voir de sang-froid condamné comme magicien à périr par les flammes, jugé sur la déposition d'Astaroth diable de l'ordre des séraphins ; d'Easas, de Celsus, d'Acaos, de Cédon, d'Asmodée, diables de l'ordre des trônes ; d'Alex, de Zabulon, Nephtalim, de Cham, d'Uriel, d'Ahaz, de l'ordre des principautés ? comment voir ce malheureux chanoine jugé impitoyablement sur la déposition de quelques religieuses qui disaient qu'il les avait livrées à ces légions d'esprits infernaux ? comment n'est-on pas mal à son aise, lorsqu'on le voit brulé tout vif, avec des caractères prétendus magiques, poursuivi et noirci comme magicien jusques sur le bucher même où une mouche noirâtre de l'ordre de celles qu'on appelle des bourdons, et qui rodait autour de la tête de Grandier, fut prise par un moine qui sans doute avait lu dans le concîle de Quières, que les diables se trouvaient toujours à la mort des hommes pour les tenter, fut prise, dis-je, pour Béelzebut prince des mouches, qui volait autour de Grandier pour emporter son âme en enfer ? Observation puérile, mais qui dans la bouche de ce moine fut peut-être l'un des moins mauvais arguments qu'une barbare politique sut mettre en usage pour justifier ses excès, et en imposer par des contes absurdes à la funeste crédulité des simples. Que d'horreurs ! et où ne se porte pas l'esprit humain lorsqu'il est aveuglé par les malheureuses passions de l'envie et de l'esprit de vengeance ? L'on doit sans doute tenir compte à Gabriel Naudé, d'avoir pris généreusement la défense des grands hommes accusés de magie ; mais je pense qu'ils ont plus d'obligations à ce goût de Philosophie qui a fait sentir toute la vanité de cette accusation, qu'au zèle de leur avocat qui a peut-être marqué plus de courage dans son entreprise que d'habileté dans l'exécution et de forces dans les raisonnements qu'il emploie. Si Naudé a pu justifier bien des grands hommes d'une imputation qui aux yeux du bon sens et de la raison se détruit d'elle-même : malgré tout son zèle il eut sans doute échoué, s'il eut entrepris d'innocenter entièrement à cet égard les sages de l'antiquité, puisque toute leur philosophie n'a pu les mettre à l'abri de cette grossière superstition, que la magie tient par la main. Je n'en citerai d'autre exemple que Caton. Il était dans l'idée qu'on peut guérir les maladies les plus sérieuses par des paroles enchantées : voici les paroles barbares, au moyen desquelles suivant lui on a une recette très-assurée pour remettre les membres démis : Incipe cantare in alto S : F. motas danata dardaries astotaries, dic una parite usque dum coeant, etc. C'est l'édition d'Alde Manuce que je lis ; car celle d'Henri Estienne, revue et corrigée par Victorius, a été fort changée sur un point où la grande obscurité du texte ouvre un vaste champ à la manie des critiques.

Chacun sait que les anciens avaient attaché les plus grandes vertus au mot magique abracadabra. Q. Serenus, célèbre Médecin, prétend que ce mot vide de sens écrit sur du papier et pendu au cou, était un sur remède pour guérir la fièvre quarte ; sans doute qu'avec de tels principes la superstition était toute sa pharmacie, et la foi du patient sa meilleure ressource.

C'est à cette foi qu'on peut et qu'on doit rapporter ces guérisons si extraordinaires dans le récit, qu'elles semblent tenir de la magie, mais qui approfondies, sont presque toujours des fraudes pieuses, ou les suites de cette superstition qui n'a que trop souvent triomphé du bon sens, de la raison et même de la Philosophie. Nos préjugés, nos erreurs et nos folies se tiennent toutes par la main. La crainte est fille de l'ignorance ; celle-ci a produit la superstition, qui est à son tour la mère du fanatisme, source féconde d'erreurs, d'illusions, de fantômes, d'une imagination échauffée qui change en lutins, en loups-garoux, en revenans, en démons même tout ce qui le heurte ; comment dans cette disposition d'esprit ne pas croire à tous les rêves de la magie ? si le fanatisme est pieux et dévot, (& c'est presque toujours ce ton sur lequel il est monté) il se croira magicien pour la gloire de Dieu ; du-moins s'attribuera-t-il l'important privilège de sauver et damner sans appel : il n'est pire magie que celle des faux dévots. Je finis par cette remarque ; c'est qu'on pourrait appeler le sabath l'empire des amazones souterraines ; du-moins il y a toujours eu beaucoup plus de sorcières que de sorciers : nous l'attribuons bonnement à la faiblesse d'esprit ou à la trop grande curiosité des femmes ; filles d'Eve, elles veulent se perdre comme elle pour tout savoir. Mais un anonyme (Voyez Alector ou Le Coq), lib. II. des adeptes) qui voudrait persuader au public qu'il est un des premiers confidents de satan, prête aux démons un esprit de galanterie qui justifie leur prédilection pour le sexe, et les faveurs dont ils l'honorent : par-là même le juste retour de cette moitié du genre humain avec laquelle pour l'ordinaire on gagne plus qu'on ne perd.