Voici, d’après le récit d’un cheik tunisien, reproduit par M. l’abbé Bauron[1] dans, comment les Arabes expliquent la différence de couleur des trois races humaines, blanche, jaune et noir :
« Au commencement du monde, tous les hommes étaient noirs, noirs comme l’œil de la gazelle, noir comme l’aile du corbeau, noirs comme les ténèbres, noir comme le cœur de l’hypocrite et l’âme du traitre.
Un jour, Sem, Cham, et Japhet se promenaient dans un bois ; ils arrivèrent près d’une source qui disait : ‘Je blanchis ce qui est noir ; je donne à la laine la douceur de la soie’.
- Menteuse ! S’écria Cham. Comment oses-tu déclarer chose pareille ?
- Permets-moi au moins, dit Sem, de douter de ce que tu avances.
- Pourquoi, reprit Japhet, se refuser à croire ce que dit cette eau, image de la Vérité ? Pourquoi douter des dons qu’elle tient du Créateur ? Pour moi, source, je crois en ta vertu, et puisse le maître des mondes nous donner son aide !
Sur ce, Japhet rejeta au loin le mince costume de feuilles de palmier qui ceignait ses reins d’ébène : ‘Bismillah, au nom de Dieu ! cria-t-il, et il se précipita dans la source.
Un instant après, les eaux qui l’avaient enveloppé en entier le repoussèrent doucement sur l’herbe tendre, et il apparut à ses deux frères avec une peau égalant en blancheur celle du lait de la chamelle du prophète[2].
Une voix mystérieuse se fit entendre :
‘Qu’Allah, dit-elle, lui donne la miséricorde et le salut, la noblesse et la dignité, la gloire et la grandeur !’ En même temps, on s’aperçut que ses cheveux étaient devenus doux et soyeux.
A la vue de ces merveilles Sem, qui avait douté, se plongea néanmoins dans l’onde bienfaisante. Mais la source se troubla en se retirant, et de ses eaux, mêlées de terre, Sem sortit avec un teint jaunâtre. En outre, ses cheveux avaient conservé la rudesse de la crinière du lion.
- ‘Il y en a encore assez, pensa Cham, pour me donner la couleur de Japhet !’
Aussitôt il se jeta dans l’eau qui restait. Mais elle se retira complètement, laissant juste assez d’humidité pour humecter la paume de mains et la plante des pieds de l’incrédule, qui était tombé à quatre pattes.
Voilà pourquoi les noirs ont la paume de la main et la plante des pieds blanches, lorsqu’ils ont la peau noire et les cheveux crépus. »
Cette légende n’est certainement pas plus idiote que les autres… Mais où diable les Arabes ont-ils pu voir des noirs ayant la paume de la main blanche ?
[1] Texte original dans P. Bauron, « La légende des trois races », Les missions catholiques, No. 1194, 22 avril 1892, p. 197-198. Retranscrit par Benito Sylvain. Un récit identique est paru en anglais le 9 juin 1953 dans le journal The Planters’banner de Franklin (Louisiane). Il cite un document publié à Paris le 27 décembre 1852 qui raconte le récit d’un voyageur ayant fréquenté des confréries noires du Pérou. Un savant mandingue lui aurait dit que Noé était noir et lui aurait raconté l’histoire de la citerne qui blanchit. Il s’agit bien d’un article de Max Radiguet paru dans L’illustration, journal universel le 25 décembre 1852, sur son voyage au Pérou (avec une illustration de Max Radiguet : « Version nègre de la Genèse »).
[2] Depuis cette blancheur s’est un peu atténué (note de l’article).