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Le révérend Checizzli porte d’abord un drôle de nom ; c’est aussi un drôle de corps. Jugez-en.
Né sur les noirs rivages de l’Ethiopie, élevé dans la religion protestante, dont il est devenu le ministre zélé en Amérique, le révérend Checizzli a entrepris auprès de ses frères noirs des Etats-Unis une croisade méritoire.
A l’instar de ces juifs qui conseillent à leurs coreligionnaires de retourner en Palestine, pour y reconstituer le peuple d’Israël, et mettre ainsi fin aux reproches qu’on leur adresse si souvent, le révérend Checizzli – quel drôle de nom, vraiment – vient d’entreprendre à Philadelphie une croisade en faveur du retour des nègres à leur terre d’origine, qui est, comme chacun sait, l’Afrique. Ainsi firent les colonisateurs du Libéria.
Toutefois le révérend Checizzli dirige les yeux des nègres qui l’écoutent vers un autre but : l’Abyssinie. Qu’est-ce que cela peut bien leur faire ? A l’Ouest ou bien à l’Est de la terre de Cham, c’est toujours aller vers ce continent noir d’où sont venus les ancêtres (et comment !) aux temps cruels de la traite.
Mais pour entraîner ses adeptes, qui ne se contenteraient pas, sans doute, de considérations philosophiques, trop savantes pour eux, le révérend Chose, Machin, au diable son nom baroque ! a trouvé un argument original.
- Adam et Eve, dit-il dans les meetings où il prêche, n’étaient pas le moins du monde blancs, comme des imposteurs vous le racontent. Ils étaient noirs, mes très chers frères, noirs comme vous et moi. Moïse ? Salomon ? David ? Tous gens de couleur. La reine de Saba ? Noire. Abraham ? Noir. Jacob ? Noir. Tous noirs, noirs !
Le procédé nous paraîtra grossier, sans doute. Il faut se mettre, pour une fois, dans la peau du nègre. Il admire cette rénovation de la Bible : déjà, sans doute, des bataillons entiers font leurs paquets pour l’Abyssinie, jusqu’à ce qu’un autre ministre protestant – il y en a de cinq à six cents sectes aux Etats-Unis – raconte à ces grands enfants une autre histoire pour les décider à rester. Ils ne sont pas encore partis.