VICARIAT APOSTOLIQUE DE L’AFRIQUE CENTRALE.
UNE JEUNE CHRÉTIENNE DE LA NIGRITIE
Extraits de la dernière lettre adressée aux Annales par Mgr Comboni, vicaire apostolique.
« Depuis plus de quatre ans, les missionnaires d'El-Obeïd, capitale du Kordofan, comptent, parmi leurs néophytes, une jeune fille d'une quinzaine d'années. Bien que née de parents nègres, cette catéchumène a, par une singularité curieuse, le teint blanc et rose. Son nom primitif est Lermina ; selon l'usage de la mission, on le lui conserva comme nom de famille et on lui donna au baptême sainte Blanche pour patronne. Ce fut le 3 juin 1879, que dom Fracaro, supérieur du Kordofan, baptisa cette enfant.
« Blanche Lermina est originaire du pays des Nafflbias à l'ouest du haut Nil. Elle est petite, mais
robuste. Son type est celui de la race éthiopienne : sa peau est extrêmement dure. Son teint est beaucoup plus blaïic que celui des femmes d'Europe ; ses cheveux sont blonds, mais laineux, comme ceux des nègres. Ses yeux sont d'une couleur bleu pâle qui se rapproche du blanc ; en pleine obscurité elle s'acquitte parfaitement de tous ses travaux.
« Son père, Ninghina, et sa mère, Gen-Jidi, sont absolument noirs. De ses deux soeurs, l'une l'est aussi, PaHtre est d'un rouge tirant sur la couleur des Abyssins. Son père, féroce giallaba (négrier) perdit sa fille par de justes représailles : pendant qu'il était dans un pays voisin occupé à la chasse à l'homme, des concurrents la lui ravirent.
« Après un voyage de plusieurs mois à travers des forêts peuplées de lions et autres bêtes féroces, Lermina arriva près du Bahr-el-Ghazal. Elle fut capturée par les soldats du gouvernement et transportée au Car-Four où elle fut présentée à son Excellence Gordon-Pacha, gouverneur du Soudan. Ce haut fonctionnaire, passant à El-Obéid, la confia à notre mission.
« D'une intelligence très-ordinaire, elle eut beaucoup de peine à apprendre le catéchisme. Mais, du Jour où elle fut instruite des vérités de notre suinte religion, elle devint fervente catholique. Elle a pour la très-sainte Vierge une dévotion spéciale et la veille de ses fêtes elle ne prend aucune nourriture.
« Son humilité est admirable : plusieurs fois sa maîtresse Fa invitée à manger le pain des Soeurs, lien inférieur à celui d'Europe, mais préférable ou millet, nourriture de l'orphelinat. Blanche a refusé.
« — Il ne convient pas, dit-elle, qu'une pauvre « esclave mange le pain des Soeurs qui sont libres. « — Mais, lui faisait-on observer, du moment que « vous avez reçu le saint baptême, vo êtes libre : « — Sans doute, répliquait-elle, je suis libre parce que j'ai eu le bonheur de devenir chrétienne ; mois je suis née païenne, et il ne convient pas que je partage la nourriture des Soeurs qui ont toujours été chrétiennes; pour moi, le pain de noirs suffît et je serai heureuse d'être la servante des religieuses. »
« Parfois son naturel sauvage se trahit encore lorsqu'elle se trouve aux prises avec une difficulté ou queses compagnes brisent par maladresse quelque ob et confie- à sa garde; elle se trouble, s'irrite et sa colère lui donne l'air d'une hé te féroce. Mais bientôt elle redevient douce et patiente.
« Pour les petits nègres et pour les malades, Blanche est d'une charité sans homes : elle se prive en leur faveur.
« Mais la plus belle vertu qui orne son âme, c'est son angélique pureté. Bien qu'elle ait été témoin, à la maison paternelle et pendant son esclavage, de scènes révoltantes, elle n'a rien perdu de sa simplicité et de sa candeur originelles. L'admiration que lui inspirent les religieuses, qui renoncent aux joies de la famille pour se consacrer tout entières au bonheur de leur prochain, lui a fait concevoir la généreuse pensée de les imiter. Elle a déjà refusé deux fois des propositions de mariage. Gordon-Pacha, ayant reçu des provinces de l'équateur un jeune blanc de la même race que Lermina, conçut aussitôt la pensée de l'unir à son ancienne protégée. Il l'envoya à El-Obéid et les soldats du gouvernement le conduisirent à la mission ; mais, malgré toutes les instances, Blanche ne voulut pas voir son jeune compatriote. Dom Léon Losi, missionnaire de grande expérience, lui offrit un autre parti ; elle refusa également. « À l'exemple des Soeurs, elle a « choisi, dit-elle, Jésus-Christ pour son unique époux : « elle veut vivre avec les religieuses et rester toute « sa vie l'humble servante de ces femmes de Dieu. » « Puissions-nous, disait en terminant le regretté Mgr Comboni, conserver de longues années pour notre édification à tous et l'accroissement de notre sainte foi dans l'Afrique centrale, cette vierge si généreuse et si pure, qui paraît avoir échappé à la malédiction portée contre les fils de Cham. C'est la fleur la plus brillante, la plus parfumée et la plus délicate qu'ait jamais produite la mission de la Nigritie. »