"Nègres"

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Cahier, Charles “"Nègres"”, RelRace, item créé par Mathilde Plais, dernier accès le 19 Apr. 2024.
Contributeur Mathilde Plais
Sujet La malédiction de Cham et l'Afrique
Description Entrée « nègres » de Caractéristiques des saints dans l'art populaire (tome 2).
Auteur Charles Cahier
Date 1867
Éditeur Paris : Poussielgue frères
Langue fr

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Des artistes assez mal informés ont plus d’une fois pris les nègres pour indiquer les missionnaires qui ont prêché, non seulement en Afrique (mission qui n’a guère donné de saints canonisés par l‘Eglise), mais aussi dans les Indes, soit orientales, soit occidentales. Ils auront été induits en erreur par le nom d’Indiens que les Espagnols, Portugais et anglais ont donné aux indigènes des deux Amériques. Or, sans vouloir faire excursion scientifique sur le domaine de l’ethnographie à propos des saints, il est cependant bon de savoir et de faire observer que les nègres, les Hindous aryens ou dravidiens (Tamouls, Cingalais), les Peaux-Rouges, les Moxes, les Aztèques etc. (sans parler des Chinois, des Japonais, des Papous et autres) ne se ressemblent guère ni pour la couleur ni surtout les traits.

Mais l’art n’a pas toujours tenu compte de ces différences, et l’on voit plus que de raison Saint François Xavier ou le B. Jean de Britto (11 février 1693) prêchant à la population de nègres imaginaires dans la presqu’île en deça du Gange, ou baptisant sur la côte de Coromandel des espèces de caciques ou sachems américains comme en ont pu rencontrer Pizarre, F. Cortez, Christophe Colomb. Almagro, Balboa ou Jacques Cartier (*). Puis sont venus les Malais, Tagals, etc.

De même SAINT FRANÇOIS SOLANO franciscain, et SAINT LOUIS BERTRAND dominicain (cf. Baptême, p. 119), se voient, entourés de nègres assez gratuitement, pour avoir prêché dans l'Amérique espagnole. Toutefois ils avaient pu y catéchiser des esclaves africains apportés par la traite-, et là même il y a bien des variétés. En outre, une nouvelle source de confusion a été introduite dans les caractéristiques des saints par le teint basané des Maures. Comme ils sont Africains, on a trouvé fort simple-, surtout vers le XV siècle, de les englober dans un même groupe très-risqué, avec les
Abvssins ou les Nubiens, les Cafres, les Hollenlols, et toutes les populations dont l'esclavage donnait alors le spécimen. Nous en avons conservé jusqu'à présent l'expression moricaud, pour dire un homme basané. De là vint que l'on a imaginé d'attribuer la face ou la nuance des nègres tropicaux à plusieurs martyrs de la LÉGION THÉBAINE parce qu'ils venaient d'Egypte, et à d'autres héros chrétiens qui avaient souffert en Mauritanie sous les persécutions romaines. SAINTE MARIE L'ÉGYPTIENNE, avec tout autant de raison (c'est-à-dire ni plus ni moins), a été changée en négresse dans certains tableaux. Sans tenir compte de ces bizarreries dont il faut pourtant se souvenir le cas échéant, je ne veux que noter ici tout bonnement, les saints qui ont pu être peints, avec quelque à-propos, sous les traits ou la couleur de la race noire, ou accompagnés de nègres.

Parmi les TROIS rois (ou mages) qui vinrent - adorer l'enfant Jésus dans l'étable de Bethléem, le Moyen Âge a souvent placé un nègre; probablement, pour montrer dès cette première vocation des Gentils l'accomplissement de la prophétie (Ps. LXXI, 9): « Les Éthiopiens se prosterneront en -sa présence. » Mais cette invention remonterait tout au plus au VIIIe siècle, supposé même que le vénérable Bède fût vraiment l'auteur du portrait des rois mages que ses éditeurs lui prêtent. Toutefois cela fit fortune plus tard dans l'Occident, et des monuments ont été corrigés après coup pour mieux s'adapter à la persuasion populaire qui voulait voir dans l'Epiphanie la représentation des principales races humaines. SAINT PHILIPPE DIACRE, disciple des apôtres (Cf. Baptême, p. 119). L'eunuque ou ministre qui lui demanda le baptême en revenant de Jérusalem vers l'Egypte (Act. vin, 26-39) peut très-bien avoir eu la nuance à peu près noire, sinon la face d'un nègre, puisqu'il paraît avoir été le serviteur principal d'une princesse nubienne ou éthiopienne. SAINT MOÏSE L'ÉTHIOPIEN, ermite (Cf. Corde, p. 258). Celui-là était réellement de la race nubienne, et par conséquent de couleur noire très-foncée. SAINT BENOIT DE SAINT PIIILADELPHE surnommé LE MOUE, mineur observantin; q avril, 1559. Il était né en Sicile d'une famille jadis esclave, et en avait conservé la couleur des nègres. Après avoir U été longtemps ermite, il entra dans l'ordre de Saint-François à Païenne, comme frère lai ; et mourut en odeur de sainteté, à l'âge de soixante-trois ans 2. La couleur qu'il tenait de ses parents l'a fait choisir, dans l'Amérique méridionale, pour patron des nègres esclaves. Mais à vrai dire, il n'avait jamais été esclave lui-même; ainsi c'est un patron de race plutôt que de profession. Le Bx PIERRE CLAVER, de la Compagnie de Jésus; 9 septembre, 165/i. On le peint très à propos entouré de nègres qu'il baptise, catéchise, dirige, bénit, ou administre, parce que sa grande occupation à Carthagène (dans la Nouvelle-Grenade), pendant plus de quarante années, fut d'enseigner les principes et la pratique de la religion aux pauvres esclaves africains, qui arrivaient par centaines dans ce port avant, d'être distribués entre différents maîtres, ou qui étaient occupés dans la ville et aux environs pour le service des Espagnols. Cf. p. 573.

(*) : Puisque cette singularité se rencontre, si mal fondée qu'elle soit, il est bon de savoir qu'on peut trouver des estampes où saint François Xavier porte un nègre sur son dos. Sauf la bévue ethnographique, ce n'est pas une simple allusion à la brebis égarée que le Bon Pasteur rapporte vers le bercail. Il s'agit, de la représentation d'un songe où Dieu avait fait connaître d'avance à l'apôtre des Indes ce qu'il lui réservait do travaux parmi les infidèles d'Asie, pour le salut des âmes plongées dans le paganisme.