A History of the World in 10½ Chapters

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Barnes, Julian “A History of the World in 10½ Chapters”, RelRace, item créé par Vincent Vilmain, dernier accès le 22 Dec. 2024.
Contributeur Vincent Vilmain
Sujet L'ivrognerie de Noé
Description Julian Barnes dans son roman A History of the Word in 10 ½ chapters décrit les faits par le truchement d’un ver à bois présent sur l’Arche. Noé y est peint comme un alcoolique invétéré incapable de s’empêcher de boire et souffrant de « gueules de bois » particulièrement agressives. Cham y est décrit comme un fils honorable injustement condamné
Auteur Julian Barnes
Date 1989
Éditeur Londres, Jonathan Cape
Langue en

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Et, pourtant, ce fut l'affaire de la licorne qui fut la plus pénible. Cette histoire nous déprima pendant des mois. Bien entendu, il y eut les habituelles rumeurs sordides — que la femme de Cham s'était servie de sa corne pour un usage obscène — et les campagnes, de rigueur après la mort, lancées par les officiels pour dénigrer le caractère de la bête ; mais tout cela ne fit que nous rendre encore plus mal à l'aise. Le fait incontestable, c'est que Noé était jaloux. Nous respections tous la licorne, et le vieux coquin ne pouvait le supporter. Noé — à quoi ça pourrait-il servir de ne pas vous dire la vérité ? — était irascible, peu fiable, envieux et lâche. De plus, il puait. Ce n'était même pas un bon marin : lorsque la mer était agitée, il s'enfermait dans sa cabine, se jetait sur son lit en bois de gopher et ne le quittait que pour aller vider son estomac dans son lavabo en bois de gopher lui aussi ; ses effluves arrivaient à un pont de distance. À l'opposé, la licorne était forte, honnête, intrépide, toujours extrêmement soignée ; son pied marin n'avait jamais la moindre défaillance. Un jour, dans un coup de vent, la femme de Cham perdit l'équilibre près de la rambarde et faillit passer par-dessus bord. La licorne — qui avait le droit de se promener sur le pont à cause de son extrême popularité — bondit pour planter sa corne dans la traîne du manteau, le clouant ainsi au pont. Quel joli remerciement elle reçut pour son courage ! Noé et sa famille la mirent à la casserole le dimanche suivant. Je peux en témoigner. J'ai parlé personnellement au faucon qui transporta la marmite brûlante dans l'Arche de Sem.
Vous pouvez ne pas me croire, évidemment, mais que disent vos archives? Prenez, voulez-vous, l'histoire de la nudité de Noé — vous vous souvenez? Ça s'est passé après l'accostage. Noé, ce n'était pas surprenant, était encore plus satisfait de lui qu'avant — il avait sauvé la race humaine, il avait établi avec succès sa dynastie, il avait passé une alliance avec Dieu —, aussi décida-t-il de ne pas s'en faire au cours des trois cent cinquante dernières années de sa vie. Il fonda un village (que vous appelez Argutie) au bas de la pente de la montagne et passa ses jours à rêver de nouveaux honneurs, de nouvelles décorations: Saint Chevalier de la Tempête, Grand Commandeur des Bourrasques, etc.
Dans vos livres sacrés, on vous apprend qu'il planta une vigne dans sa propriété. Ah ! Même l'esprit le plus borné peut saisir ce petit euphémisme : il était ivre tout le temps. Un soir, après une séance particulièrement sévère, à peine Noé avait-il fini de se déshabiller qu'il tomba ivre mort sur le sol de sa chambre à coucher — ce qui n'avait rien d'exceptionnel. Cham et ses frères, qui passaient devant sa « tente » (ils continuaient d'utiliser d'une manière sentimentale cet ancien mot du désert pour parler de leur palais) entrèrent pour voir si leur vieil alcoolique de père ne s'était pas fait mal. Cham pénétra dans la chambre à coucher et... Bon, un homme nu de six cent cinquante ans environ, étendu par terre au milieu des vapeurs de l'alcool, n'est pas une vue particulièrement réjouissante. Cham fit ce que tout bon fils aurait fait, il alla chercher ses frères pour qu'ils l'aident à recouvrir leur père. Par respect — même si à cette époque cette coutume était déjà passée de mode —, Sem et celui dont le nom commence par un J entrèrent à reculons dans la chambre de leur père et firent en sorte de le mettre dans son lit sans que leurs yeux ne tombent sur les organes de la génération qui, mystérieusement, provoquent chez votre espèce de la honte. Un acte pieux et respectable, direz-vous. Et comment pensez-vous que Noé réagit lorsqu'il se réveilla avec cette sorte de gueule de bois perforante, provoquée par le vin nouveau ? Il maudit le fils qui l'avait trouvé et décréta que tous les enfants de Cham deviendraient les serviteurs des familles des deux frères, de ceux qui étaient entrés dans sa chambre les fesses en avant. Qu'est-ce que cela peut bien signifier ? Je devine ce que vous pensez : son jugement était altéré par la boisson et nous devons le prendre en pitié plutôt que de le critiquer. Bon, peut-être. Pourtant, je veux simplement faire cette remarque : nous l'avons vu à l'œuvre dans l'Arche.
Il était grand, ce Noé — à peu près de la taille d'un gorille, quoique la ressemblance s'achève ici. Le capitaine de la flottille — il se nomma amiral à la moitié du Voyage — était un vieux machin extrêmement laid, sans aucune élégance dans ses mouvements et ignorant totalement l'hygiène corporelle. Il n'avait même pas l'astuce de laisser pousser ses propres poils en dehors de ceux de son visage ; pour le reste du corps, il devait compter sur la peau des autres espèces. Mettez-le côte à côte avec le gorille, et vous discernerez facilement l'espèce supérieure : celle qui a des mouvements gracieux, une force nettement supérieure et l'instinct bien ancré de se défaire de sa vermine. Sur l'Arche, nous n'en finissions pas de nous pencher sur cette énigme. On cherchait à comprendre comment Dieu en était venu à choisir l'homme comme Son protégé, alors qu'il y avait tant d'autres candidats bien mieux placés. Il aurait trouvé chez la plupart des autres espèces bien plus de loyauté. S'il s'était décidé pour le gorille, je doute fort qu'il y ait eu sur terre ne serait-ce que la moitié des actes de désobéissance auxquels on assista — et donc le déluge n'aurait peut-être pas été nécessaire.
Et l'odeur de ce type... Des fourrures humides, recouvrant le corps d'une espèce qui s'enorgueillit de l'entretenir, c'est une chose, mais un pelage humide, raide de sel, pendant lamentablement du cou d'une espèce qui se néglige et à qui en plus il n'appartient pas est tout à fait une autre affaire. Même lorsque le calme revint, ce vieux Noé parut incapable de ne pas s'imbiber (je rapporte ce que disaient les oiseaux auxquels on peut faire confiance). L'humidité et la tempête lui collaient à la peau comme un souvenir coupable ou la perspective de nouvelles tempêtes.