La cité de Dieu, Livre XVI, Chap. 1 à 5 (413-426)

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Augustine d'Hippone “La cité de Dieu, Livre XVI, Chap. 1 à 5 (413-426)”, RelRace, , dernier accès le 21 Nov. 2024.
Sujet Cham, père des hérétiques
Description Où Augustin fait de Noé une préfiguration de Jésus et de Cham le père des hérétiques.
Auteur Augustine d'Hippone
Date 413-426
Éditeur Paris : Charpentier, 1843-45
Langue fr

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LIVRE SEIZIÈME

CHAPITRE PREMIER.

Trouve-t-on, après le Déluge, depuis Noé jusqu'à Abraham , quelques familles d'hommes vivant selon Dieu ?

Après le déluge voit-on se continuer les traces de la Cité sainte; ou bien l'invasion des siècles d'impiété les a-t-elle ai violemment interrompues qu'il ne reste plus un seul homme fidèle au culte du vrai Dieu? C'est une question difficile à éclaircir par les paroles de l'Écriture. En effet depuis Noé, qui, avec sa femme, ses trois fil s et ses trois brus, mérite d'être sauvé de la catastrophe universelle, depuis Noé jusqu'à Abraham, tous ne trouvons dans les livres canoniques personne dont le témoignage divin recommande expressément la piété.

Noé toutefois étend sur ses deux fils Sem et Japhet une bénédiction prophétique, éclairé d'une profonde intuition de l'avenir. Et c'est pourquoi il maudit le crime de Cham, le second de ses trois fils, non pas dans la personne même de ce fils coupable, mais dans celle du fils de Cham, dans celle de son petit-fils : a Maudit soit l'enfant Chanaan 1 il sera l'esclave de ses frères. » Or, Chanaan était né de Cham, qui, loin de couvrir la nudité de son père endormi, avait osé la trahir. Et c'est aussi pourquoi Noé réunit ses deux autres fils, l'aîné et le plus jeune, dans une même bénédiction : « Que le Seigneur Dieu bénisse Sem, et Chanaan sera son esclave! que Dieu répande ses joies sur Japhet, et qu'il habile les demeures de Sem ! » Tout cela et la plantation de La vigne par Noé, et l'ivresse qu'il trouve dans son fruit, et sa nudité dans son sommeil et toutes les autres circonstances que l'Écriture rappelle; tout cela est gros de sens prophétiques et voilé de figures.

CHAPITRE II.

Ce qui a été prophétiquement figuré parles fils de Noé.

Mais aujourd'hui, grâce aux événements accomplis dans la suite, ce qui était caché, est assez découvert. En effet, pour peu qu'on apporte d'attention et d'intelligence à les considérer, qui n'en reconnaîtrait l'accomplissement dans le Christ? Sem, de qui le Christ est né, selon la chair, veut dire : « renommé. » Eh ! quoi de plus renommé que le Christ, dont Le nom exhale déjà partout cette odeur que, dans son chant prophétique, le Cantique des cantiques compare au parfum que l'on répand? C'est dans ses demeures, c'est-à- dire dans ses Églises qu'habite l'étendue des peuples, car Japhet veut dire « étendue. » Mais Cham, dont le nom est synonyme de « chaleur, » Cham, le second des fils de Noé, qui se sépare pour ainsi dire de l'un et de l'autre et demeure entre l'un et l'autre ; étranger à la fois aux prémices d'Israël et à la plénitude des Gentils, que peut-il représenter, sinon la race ardente des hérétiques, animés, non de l'esprit de sagesse, mais de cet esprit d'impatience, qui, d'ordinaire, brûle dans leurs cœurs et trouble la paix des fidèles ? Et cela toutefois tourne à l'avantage de ceux qui font des progrès dans le bien, selon cette parole de l'Apôtre : « II faut qu'il y ait des hérésies, afin que l'on reconnaisse par là ceux d'entre vous dont la vertu est éprouvée. » C'est aussi pourquoi il est écrit : « Le fils éclairé est sage: l'insensé lui servira d'instrument. » Ainsi, par exemple, quand l'ardente inquiétude des hérétiques se jette sur différents points de la foi catholique, pour les défendre contre eux, on les examine avec plus de soin, on les saisit avec plus de netteté, on les enseigne avec plus de zèle, et chaque question qu'un adversaire soulève est une occasion de s'éclairer.

Et ce n'est pas seulement les hommes dont la scission avec l'Église est publique, mais tous ceux qui se glorifient du nom de chrétiens en vivant mal, que l'on peut croire; non sans raison, représentés par le second fils de Noé. Car leur profession de foi annonce la passion de Jésus-Christ que figure la nudité de Noé, et que leurs mauvaises actions déshonorent. Voilà les hommes dont il a été dit : « Vous les connaîtrez parleurs fruits. » Voilà pourquoi Cham est maudit dans son fils comme dans son fruit, en d'autres termes dans son œuvre ; et pourquoi le nom même de Chanaan, son fils, signifie : «leurs mouvements » ou<c leurs œuvres. » Quant à Sem et à Japhet, c'est- à-dire la circoncision et l'incirconcision, ou, pour les désigner autrement avec l'Apôtre, les Juifs et les Grecs appelés et justifiés, dès qu'ils savent—comment? je l'ignore—la nudité de leur père, figurative de la passion du Sauveur, ils prennent leur manteau, le mettent sur leur dos, et s'approchant à reculons, voilent la nudité paternelle: ils n'ont pas vu ce qu'ils couvrent par respect. Et n'est-ce pas ainsi, que, dans la passion du Christ, nous honorons le sacrifice offert pour nous, en nous détournant de l'attentat des Juifs. Le manteau est le symbole du mystère ; les épaules qu'il couvre, c'est la mémoire du passé : car déjà au temps même où Japhet habite les demeures de Sem, et, au milieu d'eux, leur frère maudit, l'Église célèbre la passion du Christ comme accomplie; elle franchit l'avenir et l'espérance Mais le mauvais frère est, dans son fils, c'est-à-dire dans son œuvre, le serviteur de ses frères vertueux, en ce sens que pour s'exercer à la patience et s'affermir dans la sagesse, les bons savent user des méchants. Il y a, en effet, suivant l’Apôtre, des hommes qui prêchent Jésus-Christ sans droiture de cœur. « Mais, — dit-il, — que ce soit par prétexte ou avec vérité que Jésus-Christ soit annoncé, je m'en réjouis et je m'en réjouirai toujours. » Car c'est Jésus-Christ lui-même qui a planté la vigne, dont le prophète dit : « La vigne du Seigneur des armées est la maison d'Israël, » et il a bu du vin de cette vigne. Soit que l'on entende par ce vin le calice dont le Seigneur dit : « Pouvez-vous boire le calice que je dois boire? » et : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi ; » mot par lequel il désigne indubitablement sa passion, soit que comme le vin est le fruit de la vigne, il faille plutôt entendre parla, que, de cette vigne même, c'est-à-dire de la race des Israélites, le Seigneur a pris pour nous sa chair et son sang afin de pouvoir souffrir : « Et il s'est enivré, » c'est-à-dire qu'il a souffert, «  et il a été mis à nu, » car alors on a mis à nu, on a découvert son infirmité. Aussi l'Apôtre dit-il : « S'il a été crucifié, c'est suivant son infirmité, » puis il ajoute : « La faiblesse, selon Dieu, est plus forte que les hommes ; la folie, selon Dieu, est plus sage que les hommes. » Or, quand après avoir dit de Noé : a 11 demeura nu, » l'Écriture ajoute : « dans sa maison, «elle montre ingénieusement que le Seigneur devait être livré par ceux de sa race, par ceux de sa maison et de son sang, en un mot, par les Juifs, à la mort, au supplice de la croix ! Cette passion de Jésus- Christ les réprouvés ne l'annoncent qu'au dehors et par le son de la voix; car ils n'ont pas l'intelligence de ce qu'ils annoncent. Mais les bons renferment dans l'homme intérieur ce profond mystère; ils honorent dans le secret du cœur cette faiblesse et cette folie de Dieu plus forte et plus sage que les hommes. La figure de ceci, c'est d'une part, Cham sortant pour publier la nudité de son père ; de l'autre, Sem et Japhet, entrant pour la voiler, c'est-à-dire pour lui rendre honneur, sont les fidèles intérieurs.

Nous cherchons à pénétrer les secrets de la sainte Écriture, plus ou moins heureusement, mais toujours assurés par la foi que, de ces faits, nul ne s'est accompli, nul n'a été écrit qui no soit la figure des événements à venir, et ne se rapporte à Jésus-Christ et à son Eglise, cette vraie Cité de Dieu, Cité à laquelle dès l'origine du monde n'ont pas manqué les prédictions qui l'annoncent, et que nous voyons partout réalisées. Or, depuis la bénédiction de deux des fils de Noé, et la malédiction attachée au second des trois frères, jusqu'à Abraham, nulle mémoire d'aucun juste, fidèle au culte do Dieu ; et cela pendant une période de plus de mille ans. Non, suivant moi, que ce silence accuse alors une entière pénurie de justes; mais c'est qu'il eût été trop long de les signaler tous, et qu'une pareille énumération appartient plutôt à l’exactitude de l'historien, qu'à l'intuition du prophète.

Aussi l'écrivain sacré, ou plutôt l'Esprit de Dieu, dont il est l'interprète, s'attache moins aux faits qui racontent le passé qu'à ceux qui annoncent l'avenir, en vue de la Cité de Dieu. Car tout ce que dit l'Écriture des hommes non prédestinés à La Cité sainte, n'a d'autre but que d'offrir certains contrastes qui tournent à son profit ou à sa gloire. Non qu'il faille prêter un sens mystique à tous les récits do l'Écriture; mais c'est en faveur des faits significatifs qu'elle réunit même les faits dépourvus de signification. Le soc déchire seul la terre, et cependant il lui faut le concours des autres membres de la charrue. Les cordes d'une harpe et de tout autre instrument de musique, sont seules disposées pour l'harmonie, et cependant elles ne peuvent vibrer qu'à la condition d'être liées à d'autres parties du mécanisme instrumental, que ne touche point Le doigt de l'artiste. Ainsi, l'histoire prophétique a des passages qui ne figurent rien, mais auxquels les figuratifs se rattachent et, pour ainsi dire, se relient.

CHAPITRE III.

Générations des trois fils do "Noé.

Jetons maintenant les yeux sur la généalogie des fils de Noé, et entrons à ce sujet dans les développements nécessaires pour signaler le progrès de la Cité terrestre et de la Cité divine dans le temps. Cette généalogie commence au plus jeune des fils de Noé. Japtet; elle lui donne huit fils qu'elle nomme et sept petits-fils, issus de deux de ses fils, trois de l'un, quatre de l'autre, en tout quinze. Cham, le second fils de Noé, a quatre fils, ses petits-fils, issus de l'un de ses fils, sont au nombre de cinq, et l'un de ses petits-fils lui donne deux arrière-petits-fils, en tout onze. Après cette énumération, l'Écriture remonte à la souche et dit : « Chus engendra Nebroth, le premier géant sur la terre; géant et chasseur violent contre le Seigneur. Aussi dit-on : Chasseur contre le Seigneur comme le géant Nebroth. Sa domination s'éleva dans Babylone. Oreg, Archad et Chalanne, dans la contrée de Sennaar. De cette terre sortit Assur, qui bâtit Ninive, Robooth, Calach, et entre Ninive et Calach, la grande, ville de Da- sem. » Or, ce Chus, père du géant Nebroth, est nommé le premier entre les fils de Cham, à qui l'Écriture a déjà donné cinq fils et deux petits-fils. Mais, ou Cham engendra ce géant après la naissance de ses petits-fils; ou, ce qui est plus probable, l'Écriture le nomme séparément à cause de sa puissance, car elle parle de son royaume, qui prit naissance dans la célèbre Babyloue, et dans les autres contrées ou villes précitées. Ce qu'elle dît d'Àssur, que, sorti de la terre de Sennaar, dépendant de l'empire de Nebroth, il bâtit Ninive et les autres villes que nomme l'Écriture, ce sont des faits bien postérieurs, mais qu'elle signale par occasion, à cause de la célébrité de l'empire des Assyriens, merveilleusement agrandi par Ninus, fils deBeluset fondateur de Ninive la Grande, qui doit son nom à Ninus. Or, As- sur, père des Assyriens, n'est pas l'un des fils de Cham, le second des fils de Noé, mais deSem, l'aîné des fils de Noé; d'où il paraît que, dans la suite, des descendants de Sem s'emparèrent de l'empire du géant Nebroth, et allant au delà, fondèrent d'autres villes, dont la première fut appelée Ninive, du nom de Ninus. De là l'Écriture revient à un autre fils do Cham, qui avait nom Mesraïm; elle compte ceux dont il est l'auteur, et ce n'est pas sept individus, mais sept nations qu'elle énumère. Et de la sixième de ces nations, ou du sixième fils de Mesraïm, elle nous montre issu le peuple des Philistins; total, huit nations, puis revenant encore à Chanaan, ce fils en la personne duquel Cham est maudit, l'Écriture nomme ses onze enfants. Puis elle indique jusqu'où ils s'étendent et nomme quelques-unes de leurs villes. Aussi toute la postérité de Cham, fils et petits-fils compris, s'élève à trente et une tètes.

Reste à énumérer les enfants de Sem, le premier-né de Noé; car le tableau de ces généalogies nous a graduellement amenés du plus jeune à l'aîné des fils de Noé. Mais où commence l’énumération des fils de Sem, il se trouve un point obscur, qu'il faut écîaircir, car il importe beaucoup à la question. Nous lisons : « Et de Sem, père de tous les enfants d'Heber, et frère aîné de Japhet, naquit Heber. » Voici l'ordre grammatical : Et de Sem naquit Heber, de lui-môme ; c'est-à-dire, et de Sem lui- même naquit Heber, lequel Sem est le père de tous les enfants d'Heber. L'Écriture veut donc faire entendre que Sem est la tige patriarchale de tous ceux qui sont issus de sa race et qu'elle va énumérer, fils, petit-fils ou arrière-petits-fils, tous rejetons plus éloignés de la môme souche. Assurément Heber n'est pas le fils de Sem; mais le cinquième dans l'ordre généalogique de ses descendants; en effet; entre autres fils, Sem engendra Arphaxat; Arphaxat engendra Cainan ; Cainan engendra Sala; Sala engendra Heber. Et ce n'est pas sans raison qu'Heber est nommé le premier dans la postérité de Sem, et que l'Ecriture lui donne le pas, même sur les fils de Sem, bien qu'il n'en soit que le cinquième petit-fils; car suivant la tradition véritable, les Hébreux ou Iiébereux, lui doivent leur nom, bien qu'il puisse exister une autre opinion, qui dérive d'Abraham, ce nom d'Hébreux, ou Abrahéens. Mais il est incontestable que c'est du nom d'Heber qu'ils furent appelés Hébereux, et, retranchant une lettre, Hébreux. Et la langue d'Heber fût l'idiome du seul peuple d'Israël qui figure dans ses saints, l'exil, et, dans tous ses descendants, les mystères de la Cité divine. L'Écriture commence donc par nommer six fils de Sem, à qui l'un d'eux donne quatre petits- fils ; un autre des enfants de Sem lui donne encore un petit-fils: de celui-ci naît un arrière-petit-fils, et, de ce dernier, un nouveau rejeton qui est Heber. Or, Heber engendra deux fils, dont l'un est appelé Phalech, c'est-à-dire, « divisant. » Et l'Écriture, pour rendre raison de ce nom, ajoute : « Parce que durant ses jours, la terre fut divisée ; » Le sens de ceci se dévoilera plus tard. L'autre fils d'Heber eut douze fils; aussi le nombre total des descendants de Sem s'élève à vingt-sept. Donc, en somme, tous les descendants des trois fils de Noé, c'est-à-dire, quinze enfants de Japhet, trente- un de Cham et vingt-sept de Sem, sont au nombre de soixante-treize. L'Écriture ajoute : « Voilà les enfants de Sem, selon leurs tribus, leurs langues, leurs contrées et leurs peuples; » et Les réunissant tous : et Voilà, dit le texte sacré, les tribus des enfants de Noé selon leurs générations et leurs peuples. Elles sont l'origine de ces groupes de nations dispersées sur la terre après le déluge. » D'où l'on peut conclure, ce qui sera démontré plus tard, que ce nombre soixante-treize ou plutôt soixante-douze représente des nations et non des individus. Car après avoir énuméré les descendants de Japhet, l'Écriture termine ainsi : <c Et d'eux se formèrent ces groupes de nations divisées chacune par contrée, par langue, par famille et par tribus. »

Ailleurs déjà, comme je l'ai montré ci-dessus, L'Écriturt comprend en termes plus clairs des nations dans la descendance de Cham : « Mesraym engendra ceux qu'on appelle Ludieim; » et elle nomme ainsi jusqu'à sept nations. Puis elle termine l'énumération générale : « Voilà, dit-elle, les enfants de Cham, selon leurs tribus, leurs langues, leurs contrées et leurs peuples.» Elle passe donc sous silence les fils de plusieurs de la postérité de Noé, parce qu'on naissant, ils appartenaient à une nation, et qu'ils n'ont pu devenir la souche d'aucune autre. En effet, pour quelle aulre raison l'Écriture, mentionnant huit fils de Japhet, se bornerait-elle à rappeler la naissance de deux des enfants de ces fils? Pourquoi, lorsqu'elle nomme quatre fils île Cham, ne parlerait-elle que des enfants de trois de ses fils? Pourquoi, enfin, lorsqu'elle nomme six fils de Sem, ne s'attacherait-elle qu'à la postérité de deux d'entre eux? Les autres seraient-ils demeurés sans enfants? Gardons-nous do le croire, mais c'est assurément parce qu'ils ne furent les auteurs d'aucune nation, que l'Écriture les a laissés dans l'oubli : ils ont fait nombre où ils sont nés.

CHAPITRE IV.

De la diversité des langues et de l'origine de Babylone.

Après ce tableau des nations, chacune retranchée dans sa langue, le narrateur sacré revient toutefois au temps où il n'y avait pour toutes qu'une même langue et raconte l'événement qui donna naissance à la diversité des idiomes : « Toute la terre, dit-il, n'avait qu'une parole et qu'une Langue ; quand les hommes s'éloignant de l'Orient, trouvèrent dans la contrée de Sennaar une plaine où ils habitèrent, et ils se dirent l'un à l'autre : venez, faisons des briques et cuisons-les au feu. Et les briques leur servirent de pierres, et le bitume de ciment, et ils dirent : venez, bâtissons une ville et une tour dont la tête s'élève jusqu'au ciel, et faisons-nous un nom, en prévenant notre dispersion sur toute la terre ; et le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que les fils des hommes bâtissaient; et le Seigneur dit : Voici une même race et une seule langue pour tous, et ils ont commencé ceci, et leur entreprise n'en restera pas là. Venez, descendons ici pour y confondre leur langage, afin qu'ils ne s'entendent plus l'un l'autre. Et de là, le Seigneur les dispersa sur la surface de la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour, et ce lieu fut appelé Confusion, parce que c'est là que le Seigneur confondit le "langage de toute la terre, et que de là il dispersa tous les hommes sur la surface de la terre. » Cette ville, qui fut appelée « Confusion, » est celte même Babylone dont l'histoire profane vanté la merveilleuse construction. En effet, Babylone veut dire « Confusion. » D'où il suit que le géant Nebroth en fut le fondateur comme L'Écriture l'avait rapidement indiqué, quand, parlant de Nebroth, elle désignait Babylone comme La capitale de son royaume, c'est-à-dire la cité reine de toutes Les autres, et comme la métropole ou le siège de l'empire, quoiqu'elle ne fût pas encore élevée à ce faîte de grandeur que L'impiété superbe rêvait pour elle, hauteur inouïe et qui devait atteindre « juste qu'au ciel, » soit que l'on entende une seule de ses tours qu'ils bâtissaient, maîtresse entre toutes les autres, soit toutes les tours désignées par le nombre singulier. Ainsi l'Écriture dit « le soldat, » pour des milliers de soldats; ainsi, « la grenouille et la sauterelle, pour la multitude des grenouilles et des sauterelles, l'une des plaies dont les Égyptiens furent frappés par Moïse. Mais que prétendait cette vaine présomption de l'homme ? Aussi haut que ce prodigieux édifice dût monter dan9 le ciel contre Dieu, eût-il dépassé les plus hauts sommets des montagnes et franchi les derniers espaces de l'air nébuleux? Comment et quelle élévation, corporelle ou spirituelle, pourrait atteindre Dieu! La voie du ciel, sûre et véritable, c'est l'humilité qui élève le cœur en haut ; l'humilité nous prépare, pour arriver au ciel, une voie sûre et vraie, en élevant notre coeur vers le Seigneur, et non contre le Seigneur, à l'exemple de ce géant que l'Écriture appelle « chasseur contre 3e Seigneur. »

Plusieurs ici, trompés par l'ambiguïté du grec, se sont mépris sur le sens, traduisant, non pas « contre le Seigneur, » mais « devant le Seigneur.» En effet, Ivatvndv, signifie à la fois « devant » et « contre. » Ce mot est dans le verset du psaume : «. Et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits; » et il se trouve encore au livre de Job, où il estécrit : « Tu as fait éclater ta fureur contre le Seigneur » C'est dans ce dernier sens qu'il faut entendre : « Ce géant chasseur contre le Seigneur. » Et que signifie ce mot « chasseur » sinon trompeur, tyran, meurtrier des animaux qui vivent sur la terre? Il élevait donc contre le Seigneur, avec ses peuples, une tour symbole de l'orgueil impie. Or, c'est avec justice que la peine frappe l'intention mauvaise, lors même que le succès l'a trahie. Mais ici quel a été le châtiment? Comme l'ascendant de l'homme qui commande réside dans la langue, c'est dans la langue que l'orgueil fut atteint ; il fallait qu'il ne fût pas entendu des autres hommes pour être obéi, l'homme qui n'avait pas voulu entendre pour obéir à Dieu. Ainsi fut dissipée cette conspiration, chacun s'éloignant de l'homme qu'il n'entendait pa9, pour ne se joindre qu'à celui qui pouvait l'entendre; et les peuples furent séparés par les langues et dispersés par toute la terre, selon le bon plaisir de Dieu ; mais le mode de son action dans ce mystérieux événement se dérobe à notre intelligence.

CHAPITRE V.

De la descente du Seigneur, pour confondre le langage.

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« Et le Seigneur, dit l'Écriture, descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les enfants des hommes; » c'est-à-dire, non les enfants de Dieu , mais cette société vivant selon l'homme, que nous appelons la cité terrestre. Or, Dieu ne se déplace point, lui qui toujours est tout entier partout; mais on dit qu'il descend, quand sur la terre il agit par voie de miracle, et qu'un événement accompli en dehors du cours ordinaire de la nature atteste, en quelque sorte, sa présence. Et quand il voit, il n'apprend pas à tel instant, lui qui ne peut jamais rien ignorer ; mais on dit, qu'à tel instant, il voit et connaît ce qu'il fait voir et connaître. On ne voyait donc pas d'abord cette ville comme Dieu la fit voir, quand il eut montré combien elle lui déplaisait. Toutefois, on peut encore entendre que Dieu descendit vers cette ville, parce que ses anges, en qui il habite, y descendirent; et cette parole de l'Ecriture : « Le Seigneur Dieu dit : Les voilà donc en un seul peuple, parlant tous une seule langue ; » puis, ce qu'elle ajoute ; « Venez, descendons et confondons ici leur langage, » ne serait que le développement et L'explication du fait qu'elle vient d'énoncer : « Le Seigneur descendit.» En effet, s'il était déjà descendu que signifierait : « Venez, descendons et confondons ici leur langage ; » paroles que l'on suppose adressées aux anges ; et n'est-ce pas à dire que, lorsqu'ils descendent, Dieu qui est en eux, descend en leurs personnes? Et Dieu ne dit pas : « Venez , confondez, » mais « confondons ici leur langage;» pour montrer que son opération est si intime à ses ministres qu'ils sont eux-mêmes ses coopérateurs : « Nous sommes les coopérateurs de Dieu, » dit l'Apôtre.